JULIEN

II

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Chapitre 86

Changement

 

- Oui Aldegard, vous avez bien entendu, je n'ai pas l'intention de continuer à passer de corps en corps pour perpétuer la sacro-sainte Tradition. Je sais que c'est scandaleux, mais c'est ainsi. Par contre, je vous invite, vous et les autres Miroirs, à m'aider à préparer la suite. Vous pouvez, soit perdre votre temps à essayer de me faire changer une décision prise bien avant votre naissance, soit me combattre, mais je vois mal ce que vous auriez à y gagner, soit adopter une attitude digne de ce que je sais de vous et m'aider de toutes vos forces pour le bien de ce R'hinz que vous avez juré de servir.

- Votre Seigneurie, nul ici ne songerait à s'opposer à vous. J'ai dit à... J'ai dit un jour à Julien que ma vie lui appartenait, ce serment s'applique aussi à vous, Sire. Simplement, j'ai besoin d'un peu de temps pour me faire à l'idée d'un R'hinz sans Protecteur. Et peut-être me permettrez-vous, Sire, de rappeler que votre dernière période d'absence prolongée, il y a plus de mille huit cents cycles, a provoqué un chaos effrayant.

- L'histoire vous a certainement aussi appris que je ne suis parti que parce qu'on m'en a prié avec beaucoup d'insistance. On a même tenté de m'empoisonner. C'était la mode alors. La Guerre des trois empires et l'Hégémonie des Passeurs sont des imbécillités dont je me refuse à partager si peu que ce soit la responsabilité. Ce que je vous propose aujourd'hui est une refonte complète, raisonnée et pacifique du système d'interaction entre les mondes et une prise en mains définitive de leur destin par les peuples des différentes espèces. Je ne prétends pas que la chose soit aisée, mais j'affirme qu'elle s'avérera salutaire. Quant à vous, Honorable Dennkar, Honorable Tannder, je souhaite, si vous en êtes d'accord, que vous continuiez d'occuper auprès de moi la place que vous occupiez auprès de Julien.

Les deux Maîtres Guerriers inclinèrent la tête pour marquer leur accord.

- Dillik conservera bien-sûr sa place auprès de Xarax ainsi que son statut de Pupille impérial. Le Nyingtchik Yülien-Ambar, naturellement, est invité à demeurer près de moi au Palais et je continuerai d'assumer les responsabilités d'akou nyipa de Yülien. Sire Niil des Ksantiris, j'espère que vous voudrez bien reporter sur moi une partie au moins de l'amitié que vous avez pour Julien et me faire la faveur de visites aussi fréquentes que vous le permettront vos obligation de Premier Sire.

Niil, à son tour, inclina la tête, autant pour masquer sa confusion qu'en signe d'acquiescement.

- Quant à vous, Sire Tahlil, je ne puis que vous féliciter de votre action en tant que Miroir et mentor de Sire Niil. J'espère que vous me prêterez vous aussi votre concours dans les changements difficiles que je compte opérer bientôt.

- Votre Seigneurie, ma coopération vous est bien-sûr totalement acquise. Il est cependant une questions que je me dois de poser et qui préoccupe tous les amis de Julien. C'est à dire chacune des personnes présentes ici.

- Si vous vous demandez ce que je compte faire pour ramener Julien à la conscience et lui redonner la place qu'il mérite parmi nous, je puis vous assurer que c'est ma première priorité et quiconque voudra suggérer un moyen d'y parvenir sera le bienvenu.

Comme personne ne semblait vouloir proposer quoi que ce soit, il poursuivit :

- Je suis conscient que les changements que je me propose d'apporter vont se heurter à une opposition farouche de toutes les guildes, cercles et autres compagnies. Sans parler de la noblesse, qui tient de moi sa légitimité. On va me reprocher de faillir à ma mission. De trahir l'Empire et de vouloir détruire toute civilisation. On va aussi suggérer que je ne suis guidé que par le seul désir de me libérer du fardeau que je me suis moi-même imposé il y a bien longtemps. Sur ce dernier point, je ne puis nier qu'on n'aura pas entièrement tort. Nul ne devrait être condamné à l'immortalité et, durant bien des existences, j'ai aspiré par-dessus tout à la mort. La vraie mort. J'avoue qu'il y eut des moments où le sort des Neuf Mondes m'importait peu pourvu que je parvienne enfin à ne plus exister. Les circonstances qui m'ont amené à me détourner de cet abîme moral importent peu. Je me suis attaché à provoquer les conditions dans lesquelles je pourrais enfin faire, dirons-nous, les choses proprement. Je n'y étais pas encore entièrement parvenu lorsque les événements nous ont amenés à la situation présente. Et cette situation est telle que je peux enfin réaliser mon projet. J'ai bien l'intention de la mettre à profit.

Un silence empli d'expectative accueillit cette déclaration. Yulmir laissa passer quelques instants avant d'aborder sa conclusion :

- Ce que je compte faire, avec votre aide, n'est pas seulement destiné à me libérer. Le R'hinz, lui aussi, doit s'affranchir du carcan qui le maintient dans une stagnation dont il n'est même pas conscient. Les fanatiques qui, périodiquement, prennent les armes pour ''secouer le joug insupportable d'un autocrate omnipotent'' sont loin de n'être que de dangereux imbéciles. Il en est parmi eux qui, au fil des millénaires, ont vu le piège mortel où l'orgueil de quelque-uns, qui se croyaient sages, nous a enfermés. J'étais l'un de ces sages. J'ai payé, je crois, pour ma faute. Maintenant, je vous supplie de bien vouloir m'aider à réparer. Je vous conjure de lancer de nouveau les Neuf Mondes sur des chemins inconnus, jamais encore foulés, pleins de dangers, certes, mais aussi de merveilles insoupçonnées.

Désignant d'un geste Ambar et Yülien qui l'écoutaient, médusés, il déclara :

- Ce Nyingtchik a déjà fait le premier pas, il nous montre la voie à suivre. Un enfant des Passeurs et un enfant des hommes, unis, ont brisé les vieilles règles, franchi la limite qu'on croyait infrangible de l'univers connu et fait entrer ici l'avenir ainsi qu'on laisse entrer la lumière en ouvrant les persiennes de la chambre obscure d'un malade en voie de guérison. Maintenant, mes amis, il est temps pour chacun de nous de se mettre au travail.

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- Que se passe-t-il Ambar ? Pourquoi m'avoir demandé un entretien particulier ? Pourquoi ces façons de conspirateur ?

- Maître Subadar, ne vous fâchez pas. S'il vous plaît. Avec Yülien, il fallait qu'on vous parle.

- Eh bien, je vous écoute.

- Voilà... Heu... On a écouté ce que l'Empereur a dit et...

- Ambar, si toi et ton chenn-da avez quelque chose à dire, dis-le franchement. Hésiter comme tu le fais ne sert qu'à nous faire perdre du temps.

- Bon. On se demande si l'Empereur nous a dit toute la vérité.

- Effectivement, une petite discussion s'impose. Et qu'est-ce qui vous fait douter de sa sincérité ?

- Ben... Il nous a dit que sa première priorité, ce serait de ramener Julien. Et tout-de-suite après, il nous a fait tout un grand discours sur les changements qu'il voulait qu'on l'aide à faire dans le R'hinz. Mais pour faire une chose pareille, il faut du temps. Beaucoup de temps. Et où il compte mettre Julien, pendant tout ce temps ? Il va devoir partager son corps avec lui ? Il va se retirer quelque part pour que Julien puisse vivre un peu ? Comment ils vont faire ?

- Ce sont évidemment des questions qu'on est en droit de se poser. Je suppose que vous avez déjà votre petite idée de la réponse.

- Ben..oui. C'est-à-dire, on ne sait pas vraiment ce qu'il compte faire, mais on a peur que Julien, il soit plus gênant qu'autre chose. Alors peut-être qu'il sera pas trop pressé de le faire revenir. Et puis, il a dit que Julien dormait, qu'il était inconscient. Il a peut-être raison, mais si jamais il se trompait ?

- Ce sont de graves inquiétudes que vous avez là. Pourquoi croyez-vous que je pourrais les dissiper ?

- Eh bien, vous êtes sans doute celui qui le connaît le mieux, à part Xarax.

- J'ai été son disciple, c'est vrai, mais cela ne signifie pas que Yulmir me faisait des confidences. Cependant, je sais, ou du moins je suis persuadé, qu'il est honnête. Mais je sais aussi qu'on n'exerce pas le pouvoir sans jamais mentir ou, du moins, dissimuler parfois la vérité. S'il s'agissait de n'importe quel Premier Sire, ou même d'un Miroir, je dirais qu'il faut prendre ses paroles avec beaucoup de prudence. Concernant Yulmir, j'aurais tendance à lui faire confiance. De toute façon, je ne vois pas ce que vous pourriez faire d'autre.

- Moi non plus. Mais quand même on voulait savoir ce que vous en pensiez avant de lui parler.

- Vous voulez parler à Yulmir ?

- Oui.

- Et pour lui dire quoi, s'il n'est pas indiscret de te le demander ?

- On avait peut-être une idée pour faire revenir Julien.

- C'est une bonne nouvelle. Il faut vite aller le lui dire.

- Oui, c'est ce qu'on s'est dit. Mais après, on a réfléchi et... Vous comprenez, je ne sais pas pour vous, mais quand on voit l'Empereur, nous, en fait, on a l'impression que c'est Julien, et de savoir que ça n'est pas vrai, c'est comme si un voleur s'était installé dans son corps. Aller le trouver pour lui dire qu'on a trouvé un moyen de faire revenir Julien, c'est un peu comme si on lui disait de s'en aller pour laisser rentrer le vrai propriétaire. Comme si on lui disait : ''Vous êtes peut-être l'Empereur, mais nous, on aimerait mieux que ce soit notre ami, là, derrières vos yeux''. En plus, qu'est-ce qu'on va faire s'il nous dit qu'il a besoin d'un peu de temps pour changer le R'hinz ? Moi, je n'ai pas envie de rester là, à dire ''Oui, Votre Seigneurie, vous avez parfaitement raison. Prenez tout votre temps''.

Les gros sanglots qui suivirent cette déclaration n'étaient certes pas prévus, mais il firent beaucoup pour aider Subadar à prendre conscience du drame qui frappait Ambar. Lui-même éprouvait pour Julien plus d'affection qu'il n'était raisonnable, mais le jeune garçon qui tentait de reprendre une respiration normale alors que son compagnon se pressait en geignant doucement contre sa jambe vivait un enfer.

- Bien, voici ce que nous allons faire. Tu vas retrouver ton calme, te rafraîchir la figure, et nous irons ensemble parler à Yulmir.

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- Ainsi, tu voudrais m'emmener rencontrer ce fameux ''être soi-conscient non duel'' ? Mais il me semble qu'il n'avait pas pu t'aider auparavant. Il refuse d'intervenir dans les affaires de notre monde, semble-t-il. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ?

- J'ai l'impression que c'est différent. Je crois que là, il fera quelque chose, si c'est possible. Et puis, il n'est pas question d'agir dans notre monde, c'est simplement, un service personnel que vous lui demandez.

- D'accord, mais comme tu l'as si bien expliqué à Maître Aldegard, si cela fonctionne, cela va aussi singulièrement compliquer ma tâche. Reconnais qu'il serait plus simple d'attendre que les choses soient bien engagées avant de rajouter une difficulté supplémentaire.

Ambar ne dit rien. Il s'efforçait, sans trop de succès de garder un visage, impassible.

- Mais, poursuivit Yulmir, j'ai suffisamment souffert de la ''raison d'État'' pour vouloir m'en affranchir dans ce cas précis. J'ai dit que retrouver Julien était ma priorité. Nous allons essayer de faire ce que tu dis. Je suis certain que mes Miroirs, s'ils étaient prévenus de ce que nous allons faire, auraient une foule d'objections toutes plus valables les unes que les autres. C'est pourquoi nous n'allons rien leur dire. Nous allons faire ce voyage tous les trois et Xarax dit qu'il restera ici, bien qu'en cas de malheur, je crains que même Dillik ne puisse lui procurer de quoi se sustenter. Et au cas où quelque chose tournerait vraiment mal, ce cher Aldegard aura la désagréable tâche d'informer le reste du monde de la catastrophe.

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> Entité Nyingtchik Yülien-Ambar. Entité Yulmir-Julien. Ce que vous demandez est assurément possible. Cependant les probabilités d'incompatibilité entre les éléments intriqués Yulmir et Julien demeurent dangereusement élevées et risquent de compromettre un niveau acceptable d'efficience dans un délai de vingt-trois rotations axiales de la planète désignée ''Nüngen'', plus ou moins quatre divisions temporelles désignées comme tchoutsö.

- Ça veut dire qu'on ne peut pas faire revenir Julien ? Que l'Empereur et lui ne pourraient pas vivre dans un même corps ?

> Non. Cela implique seulement que leur coexistence dans un même organisme est rapidement vouée à l'échec.

- Et là, Julien, il dort ?

> Non. Son soi-conscient est résorbé en un état potentiel-base qui n'est pas équivalent à ce que vous appelez sommeil. Cela pourrait plutôt s'apparenter au niveau minimal d'énergie d'un système complexe.

- Alors, on ne peut rien faire ?

> Si, mais les conséquences seront telles que je les ai exposées.

- On ne peut pas faire revenir Julien sans que ça se termine mal ?

> En effet. Par contre, il est possible d'envisager une autre façon de ramener l'entité Julien à la soi-conscience.

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- Ambar ! Je savais que tu viendrais me chercher ! Les sorciers ! Où on est ?

- On est chez l'être soi-conscient non duel.

- Qui ? Ah, oui, je me souviens maintenant. L'univers conscient, c'est ça ? Où est Yulmir ? Il était avec moi, dans mon corps, tu sais. Mais là, il a disparu.

- Ne t'inquiète pas. Il est là, juste à côté. Yülien est avec lui.

- Hein ?!

- Il a un corps à lui, maintenant.

- C'était vraiment horrible. Sans lui... Il a un corps !!!

- Oui. Il paraît que vous ne pouviez pas vivre tous les deux dans le même. Et puis, je dois dire que je préfère comme ça, si ça ne t'embête pas.

- On peut aller le voir ?

- Bien-sûr. Tu vas avoir un choc.

- Pourquoi, il est vraiment si laid ?

- Oh non ! Il est même plutôt... Tu verras.

La paroi de la pièce sphérique parut se dissoudre en partie pour inclure un autre espace, ainsi que deux bulles fusionnent à la surface d'un liquide pour n'en former plus qu'une. Yulmir et Yülien étaient là. Julien s'attendait un peu à ce qu'il découvrit, mais il eut quand même le choc prédit en se trouvant face à lui-même, non plus dans un miroir, mais en chair et en os. Un Julien souriant. Un Julien qui n'était pas lui, et pourtant parfaitement semblable et dont la nudité le troublait bizarrement. Le gênait. Ce fut l'Empereur qui rompit le silence :

- Bon retour parmi nous, Julien. Eh oui... Je suis désolé, mais à moins de prendre l'apparence d'Ambar, il n'y avait pas d'autre modèle disponible dans cet univers. Ambar est certes très... décoratif, mais je ne tiens pas à subir les affres de la puberté. Et puis, surtout, les gens qui comptent en politique sont maintenant habitués à un Yulmir qui te ressemble.

- Je voulais vous remercier.

- De quoi ? C'est plutôt moi qui devrais te remercier de m'avoir abrité si longtemps.

- Je voulais vous remercier pour m'avoir protégé contre le Dre tchenn. Et aussi pour m'avoir fait revenir.

- C'est pur égoïsme de ma part. Je me suis habitué à ta compagnie. Et puis, j'ai vraiment envie de voir de quoi j'ai l'air par-derrière. Tourne-toi, pour voir.

Julien ne put s'empêcher de rire tout en s'exécutant.

- Pas mal ! Mais j'ai vraiment l'air d'une fille avec cette crinière. Il était temps que je revienne. Tu as une influence désastreuse sur la jeunesse.

- Mes parents vont vous adorer.

Mais cette légèreté apparente ne pouvait suffire à évacuer l'énormité de l'événement et Julien fut bientôt rattrapé par ses émotions. Des images lui revenaient soudain, épouvantables et obscènes, et l'impression que quelque chose, en lui avait été irrémédiablement souillé. C'est alors qu'une voix s'éleva dans l'espace neutre de la bulle :

> Entité séparée Julien. Si les références à des expériences passées risquent d'empêcher un fonctionnement optimum de votre continuum de conscience, elles peuvent encore être supprimées sans dommage.

- Vous voulez dire que vous pouvez effacer mes souvenirs ?

> La formulation n'est pas exactement conforme à la réalité, mais c'est une approximation suffisante à une compréhension superficielle.

- Je ne me souviendrai plus de ce que le Dre tchenn m'a fait ?

> C'est exact.

La seule idée d'être définitivement débarrassé de ce monceau d'immondices l'emplissait d'un bonheur semblable au soulagement qu'il avait éprouvé lorsque Yulmir avait mis fin à la torture du Dre tchenn. Il n'avait certainement pas de souhait plus ardent que de ne plus revoir jamais ces scènes atroces, insoutenables et qui avaient toute la puissance de conviction d'une réalité vécue.

- Alors, je...

- Julien ! l'interrompit son double. Je ne te le conseille pas. Notre hôte ne désire certainement que ton bien, mais je te mets en garde. Il vaudrait mieux que tu ne t'amputes pas volontairement d'une partie essentielle de ta vie avant de l'avoir soignée.

- Mais je n'ai pas la moindre envie de me souvenir de ça. C'est dégoûtant !

- Je comprends. Mais le supprimer risque de te faire beaucoup plus de mal. Et si tu veux, je t'aiderai à faire ce qui convient pour parvenir à vivre avec. Je suis beaucoup, beaucoup plus vieux que toi. Je sais de quoi je parle.

> Ces références peuvent être conditionnées pour n'être accessibles que par un acte mental volontaire précis. Une sorte de... L'exemple le plus proche dans votre système de pensée serait l'usage d'une sorte de clé codée à employer pour accéder à un compartiment précis de votre réserve de données, votre... mémoire.

Ce fut Yulmir qui répondit :

- Ce serait parfait. Julien, je te conseille vivement d'accepter.

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Chapitre 87

Un nouveau départ

 

Dans le calme retrouvé du Palais, Julien pouvait enfin espérer renouer avec une existence presque normale. Yulmir décréta qu'il transporterait ses quartiers dans une section voisine, lui laissant la libre disposition des appartements qu'il occupait jusqu'alors avec ses amis. Amis qui se trouvaient à présent réunis pour l'accueillir et fêter son retour.

- Alors, t'es plus l'Empereur ?

Dillik n'en revenait pas.

- Non.

- Mais t'as toujours tes Marques !

- Je crois que je ne vais pas les conserver longtemps. C'est plus gênant qu'autre chose, tu sais. Je ne tiens pas à ce que les gens me prennent tout le temps pour quelqu'un d'autre. Je ne suis plus un Passeur non plus. Le Don appartient à Yulmir et je ne suis plus du tout Yulmir.

- Ben, ça fait rien, t'es toujours mon ami. Enfin, si tu veux bien. Et je suis sûr que c'est pareil pour Xarax. Même s'il est bien obligé de s'occuper de l'Empereur aussi.

Le haptir était absent, occupé sans doute à remettre à jour sa relation avec son maître.

- Je n'en ai pas le moindre doute.

- Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ?

- Laisse-lui le temps de souffler, intervint Niil. Ça ne fait pas deux tchoutsö qu'il est revenu.

- Ça va, c'est reposant de parler d'autre chose que des affaires de l'Empire, pour changer. Je crois que je vais commencer par prendre des vacances. J'espère que Yulmir voudra bien nous prêter la maison du lac Rüpel Gyamtso. Niil, tu crois que Tahlil t'autorisera à abandonner un peu ton trankenn ?

- S'il ne veut pas avoir à gérer une abdication, il a intérêt.

- Et toi, Karik, Tannder te donnera une permission de détente ?

- Il n'a pas attendu que je lui demande, j'ai ordre de rester avec toi autant que tu voudras.

- Ugo, tu veux bien venir aussi ?

- Bien-sûr, j'en serai ravi. Quand comptes-tu annoncer la nouvelle à tes parents ?

- Je ne sais pas. Pour eux, ça ne change pas grand chose, de toute façon.

- Tu ne crois pas qu'ils se sentiront soulagés de savoir que tu n'es plus la cible de tous les complots ?

- Certainement, mais ils vont peut-être aussi se sentir responsables de mon avenir et de mon éducation. Et ça, je ne crois pas que ça me plaira beaucoup. Je préfère avoir une idée claire de ce que je vais faire avant de leur annoncer la nouvelle. Bon, si tout le monde est d'accord et si on a la permission de Yulmir, on pourrait partir demain.

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- Ça ne te manque pas, de pouvoir aller où tu veux sans rien demander à personne ?

- Non, le Don ne me manque pas. Pas plus que le pouvoir. La seule chose qui pourrait me manquer, ce serait toi.

- Moi ?!

- Tu es un grand personnage maintenant, un génie reconnu des mathématiques, un explorateur d'univers. Peut-être que tu ne vas plus vouloir te commettre avec un vulgaire n'importe qui ?

- Tu te fiches de moi, hein ?

- Oui ! Mais pour ce qui est du Don, c'est vrai, je ne le regrette pas. D'ailleurs, je suis sûr que le jeune faux-jeton qui fait semblant de dormir à l'autre bout du lit m'emmènera où je voudrai, quand je voudrai.

Yülien se rapprocha pour poser une patte sur la cheville de Julien.

- Mon Akou nyipa, c'est toi. Ils peuvent raconter tout ce qu'ils veulent, je m'en fiche que tu sois plus l'Empereur. Sa Seigneurie, il est bien gentil et tout, mais moi, je le connais pas. Toi, c'est pas la même chose. Toi, je... ben toi, c'est toi. Voilà. Et t'as raison, je t'emmènerai toujours où tu voudras, quand tu voudras. Et pis tous les Passeurs du Clan de Katak aussi. Tu fais toujours partie du clan, tu sais. C'est ta famille autant que la mienne.

- Merci, Yülien. Tu veux venir dormir entre nous ?

- Ben, heu... Je voudrais pas vous déranger. Mais si c'est pour te faire plaisir...

- Dormir, j'ai dit. Dormir. Rêver, peut-être. Rien d'autre.

- Je vois pas ce que tu veux dire, là. Non, vraiment, je vois pas.

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- Julien.

- Mmmnn ?

- J'ai envie de faire pipi. Tu m'emmènes ? J'ai peur dans le noir.

- Dillik !

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