JULIEN

II

Chapitre 82

Suppositions

 

- Je suis absolument certain que c'est par ici.

- Je ne doute pas de votre mémoire, Subadar, rétorqua Wenn Hyaï, mais on dirait que ce fameux autel de sacrifice n'est plus là.

- Raison de plus pour le trouver. Ce genre d'endroit ne disparaît pas comme ça, sans raison. Ces autels sont placés justement sur des points particulièrement stables d'un point de vue géologique et... à d'autres points de vue aussi.

- Maître Subadar, annonça Ambar, Xarax dit qu'il va faire un tour pour voir s'il peut repérer quelque chose.

Le haptir s'envola et se laissa immédiatement porter sur les courants thermiques qui commençaient à se former au-dessus du désert rocailleux. Tout en scrutant le sol, il restait aux aguets. Tandil ne pardonnait rien à ceux qui en sous-estimaient les dangers. Même le désert abritait un bon nombre de prédateurs. Il n'était pas inquiet pour ses compagnons. Subadar, Ugo et Wenn Hyaï n'étaient pas du genre à se laisser surprendre et veilleraient efficacement sur le Nyingtchik qui, lui, ne survirait pas longtemps si on le laissait à ses seules ressources. Ambar et Yülien avaient peut-être du courage à revendre, mais ils n'avaient pas la moindre expérience d'un environnement aussi hostile. Ils pouvaient être piqués à mort par un simple nayak avant même d'avoir le réflexe d'effectuer un saut.

Il volait en grands cercles qu'il élargissait progressivement autour de leur point d'arrivée, demeurant à un peu plus de trois cent mètres du sol ce qui lui permettrait à la fois d'avoir le temps de faire face à une éventuelle attaque et de remarquer toute trace insolite. Il n'oubliait pas non plus de surveiller le ciel ; il n'avait aucune envie de servir d'incubateur à la progéniture d'un rakhkan ou d'une autre saloperie du même genre.

Il modifiait ses filtres cornéens, explorant systématiquement tout le spectre accessible à sa vision qui s'étendait de l'ultraviolet moyen au proche infra-rouge. Et c'est dans l'infra-rouge, justement qu'il remarqua une anomalie. Alors que s'élevaient partout des courants d'air perturbés, chauffés à des degrés divers par la réverbération du sol, une petite région paraissait curieusement inerte, comme si les rayons d'un soleil de plus en plus brûlant n'y exerçaient aucune influence. Il n'était pas nécessaire d'être un génie pour comprendre que quelque chose se cachait là qui ne se manifestait, paradoxalement, que par sa seule absence d'activité.

Il leur fallut moins de dix minutes d'une marche précautionneuse, tous les sens en éveil, pour rejoindre l'endroit.

- Si l'autel est bien là, et je suis à peu près sûr qu'il y est, il est en activité et quelqu'un le dissimule. Et je crains qu'il ne s'agisse d'un Dre tchenn. Je suggère que tout le monde s'éloigne et nous laisse opérer, Yol et Moi.

Guidés par Xarax, Ambar, Yülien et Wenn Hyaï allèrent se poster à une centaine de mètres, au sommet d'un gros rocher plat qui avait l'avantage, outre de leur offrir une vue dégagée sur les alentours, de ne présenter aucune fissure d'où auraient pu sortir des spécimens plus ou moins désagréables de la faune locale.

Si Xarax se déplaçait constamment pour jouer son rôle de sentinelle infaillible, Wenn Hyaï se tenait avec le Nyingtchik, ce qui lui permettait de communiquer tout en continuant d'observer les deux silhouettes qui s'affairaient près de l'emplacement présumé de l'autel. De ses deux protégés, Yülien était le plus agité et il ne tarda pas à poser des questions :

- Maître Wenn Hyaï, qu'est-ce qu'il va faire, au juste Maître Subadar ?

- Je pense qu'il va essayer de dévoiler l'endroit où il pense que Julien est retenu prisonnier.

- Oui, ça, j'avais compris. Mais comment il va faire, exactement ?

- Je ne sais pas.

- Il avait parlé d'un rituel des Arts Ténébreux. C'est ça qu'il va faire ?

- Peut-être.

Wenn Hyaï était extrêmement mal à l'aise.

- Et pourquoi il a besoin d'Akou Ugo ?

- Je ne sais pas. Je ne suis pas un spécialiste de ce genre de choses.

En fait, le vieux Maître Passeur avait une petite idée de ce qui se tramait, mais il n'avait aucune envie d'en faire part à ses disciples. Il n'avait, pour être franc, aucune envie d'y penser lui-même. Mais Yülien était aussi obstiné qu'il était doué et il laissait rarement une question en repos tant qu'il n'avait pas reçu une réponse à peu près satisfaisante. De plus, la fréquentation permanente de son chenn-da avait grandement développé son sens logique.

- Ça peut pas être pour sauter. Akou Ugo ne peut plus.

- Yülien !

- Ben quoi, je me moque pas de lui. C'est le plus grand Passeur de tous les temps avec Akou Aïn. Et si il peut plus sauter maintenant, c'est parce qu'il a sauvé Yulmir ! C'est Akou Julien qui me l'a dit. Et Akou Julien, c'est Yulmir. Akou Ugo, je l'aime autant qu'Akou Julien. Et je laisserai jamais personne se moquer de lui !

- Je n'en doute pas. Et tu as bien raison.

- Alors pourquoi il est là-bas, si c'est pas pour sauter ? C'est pas un Maître des Arts Majeurs, comme Maître Subadar. Les rites et tout ça, il y connaît sans doute rien... c'est peut-être parce qu'il est le chenn-da de Maître Subadar ? Il veut pas le laisser tout seul pour se battre contre... Contre ce qu'il vont trouver là-bas. C'est ça ?

Wenn Hyaï avait une autre idée, et qui se précisait de plus en plus, mais il n'avait certainement pas l'intention d'en faire part à un jeune Passeur trop précoce. Pas plus, d'ailleurs qu'à son petit génie de compagnon humain. Mais Ambar, lui, n'avait guère besoin qu'on lui explique les choses. Son esprit logique traitait les informations les plus disparates, les assemblait, et tirait ses propres conclusions :

- La clé ! Ugo va servir de clé ! Je suis pratiquement sûr que c'est ça !

Wenn Hyaï ne prit même pas la peine d'essayer de le contredire. C'était bien la sinistre conclusion à laquelle il était lui-même parvenu. Tous les rites Ténébreux impliquaient le sacrifice d'une victime. Et plus l'entité à laquelle on s'adressait était puissante, plus la victime devait être précieuse, mais là n'était pas le principal. Précieuse ou non, la victime était mise à mort et cet acte même était en absolue contradiction avec tout ce à quoi Subadar était fidèle. Tuer quelqu'un en combat était une chose. Offrir un être doté de conscience en holocauste à une abomination en était une tout autre. Non pas seulement interdite, mais impossible ! Même s'il l'avait voulu, Subadar n'aurait pu se mettre dans l'état d'esprit nécessaire pour qu'un tel acte ait l'effet escompté. Il lui aurait été plus facile de respirer de l'eau. La seule solution, était de trouver une victime non seulement consentante, mais volontaire. Une victime qui accueillerait avec joie non seulement la mort, mais l'énorme souffrance qui ne manquerait pas de la précéder. C'était une chose qu'il ne pouvait pas plus suggérer à quelqu'un qu'il ne pouvait sacrifier une victime non consentante. Ugo le savait. Et Ugo s'était offert.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Yülien.

Ambar se repentit aussitôt d'avoir parlé sans réfléchir. Une logique impeccable, hélas, ne vous mettait pas toujours à l'abri de faire des gaffes.

oo0oo

Subadar regarda le chien noir, sa tête hirsute de grosse bête sympathique où, derrière les yeux brun sombre, se dissimulait son autre lui-même, son chenn-da.

- Yol, mon ami, tu es sûr ?

- Oui. De toute façon, un chien ne vit pas très longtemps. Je ne sacrifie que quelques années. Et tu sais comme moi que c'est ce que je peux faire de mieux.

- Il est des moments où je maudis le sens moral des Passeurs !

- Ce n'est pas vrai. Et à ma place, tu ferais la même chose. J'ai une chance unique de racheter un peu ma faute. Tu ne voudrais pas m'empêcher de la saisir ?

- Ta faute ! Tu t'es sacrifié pour ton Empereur ! Techniquement, tu es mort pour lui.

- Justement, non. J'ai choisi de ne pas mourir. Un autre est mort à ma place.

- Il n'était même pas né. Il n'avait pas encore vraiment de conscience.

- Nous en avons déjà parlé. C'est à cause de moi que ce chiot dont j'ai pris la place n'a pas pu naître. Et c'est aussi à cause de moi que Julien est là où il est.

- Tu ne peux pas aussi te rendre responsable de ça !

- Ce garçon n'a jamais demandé à être envoyé dans le R'hinz. Il était heureux.

- Mais...

- Le pire, c'est qu'il ne m'en veut même pas.

- Mais, c'est Yulmir !

- Oui. Si on veut. En tout cas, il fait de son mieux pour ne décevoir personne.

- Je..

- Tu l'aimes. Presque autant que je l'aime. Nous sommes ici pour essayer de le sauver d'un sort qui pourrait bien être pire que la mort. Ne tardons plus.

- Je vais devoir te faire mal.

- Évidemment.

- Je ne sais pas si je pourrai.

- Subadar, je t'en prie, disons-nous adieu maintenant et fais ce que tu as à faire en sachant que je bénirai cette souffrance qui t'ouvrira le chemin vers Julien. Et...

- Oui, mon ami ?

- Ne lui dis pas... enfin... dis lui que je suis mort en me battant. Que je suis mort heureux. D'ailleurs, c'est la vérité.

oo0oo

- Ambar, réponds-moi ! Comment il va servir de clé ?

- Je ne sais pas.

- Essaie pas de me raconter des histoires ! Réponds-moi. S'il te plaît.

- Je ne te raconte pas d'histoires. Je ne sais pas. Je suppose, c'est tout.

- Eh ben dis-moi ce que tu supposes.

- Promets-moi d'abord que tu va rester tranquille.

- C'est dangereux, hein ? C'est ça ?

- Oui, je crois.

- Maître Wenn Hyaï. Qu'est-ce qui se passe ?!

- Yülien, calme-toi. Nous allons peut-être avoir besoin de toi. Tu ne nous serviras à rien si tu es dans cet état.

Yülien s'appliqua pendant une dizaine de respirations à faire les exercices qui lui permettraient de retrouver son calme.

- Quand même, je voudrais bien savoir ce qui se passe.

Il était inutile d'espérer le voir renoncer à obtenir une réponse. Ambar soupira :

- Je crois que Maître Subadar va devoir... Je crois qu'il va le tuer.

- Hein ?!!!

- Je crois qu'Ugo est venu exprès pour ça.

- Mais on peut pas les laisser faire ça !

- Tu vois un moyen de les en empêcher ?

- On n'a qu'à y aller et...

- Si tu insistes, j'irai avec toi, bien-sûr. Mais tout ce qu'on pourra faire, c'est les gêner et les obliger à nous renvoyer sur Nüngen avant de tout recommencer. Tout ce qu'on aura gagné, c'est de retarder le sauvetage de Julien.

- Mais c'est mal ! C'est pas juste !

- Si Ugo pense que c'est ce qu'il faut faire, tu vas lui dire que tu sais mieux que lui ce qui est bien ?

- Mais, je veux pas qu'il meure !

- Personne ne le veut. Subadar moins que quiconque. C'est son chenn-da.

- Moi, je pourrais pas te tuer. Même si tu me le demandais.

- Moi non plus, je ne pourrais pas. Mais on n'est pas des Grands Maîtres.

- Si c'est ça, je veux jamais en devenir un !

oo0oo

 

 

Chapitre 83

Révélation

 

- Je savais bien que je n'étais pas Yulmir. Personne ne voulait me croire.

Au-delà du soulagement immense de la cessation de la douleur il percevait, avec lui, en lui, une présence comme il n'en avait jamais sentie. Quelqu'un était là, existant avec lui, autant, aussi complètement que lui. Quelqu'un, il le savait, qui avait un accès total à tout ce qu'il était, souvenirs sensations, émotions, aspirations, tout ce qui faisait qu'il était lui, Julien. Quelqu'un cependant qui lui demeurait totalement inaccessible.

- Pour tous ceux qui pouvaient en juger, tu ne pouvais être que Yulmir. Nous étions tellement imbriqués qu'il était aussi impossible de nous distinguer que de distinguer le vin de l'eau qu'on y a mêlé.

- Et ça n'est plus le cas ?

- Non.

- Pourquoi ?

- La douleur. La tension psychologique. Le dégoût... C'est toi qui nous as séparés, sans le vouloir. Sans même le savoir.

- Et c'est vous, qui avez fait que je ne sente plus rien ?

- Oui. Je nous ai plongés en stase profonde. Mais on ne peut pas rester ainsi indéfiniment.

- On peut tenir combien de temps, comme ça ?

- Ta question n'a aucun sens. Nous sortirons de stase à l'instant exact où nous y sommes entrés.

- Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas parlé avant ?

- Je ne pouvais pas. Et pour répondre à la question que tu ne poses pas, si je ne te laisse pas accéder à mon esprit, c'est pour protéger en toi ce qui peut encore l'être. J'ai vécu pendant des millénaires. Je me suis débarrassé de nombre de souvenirs, mais il en reste suffisamment pour te faire vieillir d'un coup abominablement. Je t'ai déjà fait trop de tort.

- Maintenant que vous êtes là. Enfin... vous avez toujours été là, mais...

- J'ai compris.

- On pourrait peut-être sauter.

- Non. J'essaierai quand nous sortirons de stase, mais je suis à peu près certain que ce ne sera pas possible. Nous sommes dans un bar-do, un hiatus et je pense connaître le Dre tchenn qui le génère. Un bar-do n'appartient pas vraiment à notre univers. Nous sommes à la fois présents et absents. C'est un piège remarquable.

- Qu'est-ce qu'on va faire alors ?

- S'il ne s'agissait que de moi, je pense que j'aurais peut-être une occasion de régler un problème qui me préoccupe depuis trop longtemps.

- Vous croyez que vous pourriez mourir vraiment ? C'est ça ?

- En quelque sorte, oui.

- Et c'est moi qui vous en empêche ?

- Non, ce qui m'en empêche, c'est ce qui me reste de conscience morale. Je ne veux ni t'entraîner avec moi dans l’annihilation, ni te planter là pour te laisser aux prises avec un Dre tchenn.

- Merci. Ça veut dire que vous allez essayer de nous en tirer tous les deux ?

- Oui.

- Comment est-ce que vous comptez vous y prendre ?

- Le Dre tchenn croit qu'il n'a qu'une seule victime. Et il croit la tenir entièrement en son pouvoir. On ne va surtout pas le détromper. S'il savait que tu n'es pas tout seul, nous n'aurions aucune chance. Il serait simplement deux, lui aussi. En fait, de notre point de vue limité, il est innombrable. Il n'y a qu'un seul de ses avatars ici parce qu'il n'est pas nécessaire d'en avoir plusieurs.

- Il ne va pas s'apercevoir de quelque chose, quand on sortira de la stase ?

- C'est là que les choses se compliquent. Je vais devoir me cacher. Disparaître. Je vais devoir te laisser tout seul. Et ce n'est pas le pire. Théoriquement, je pourrais t'aider à atténuer tes sensations, faire que tu souffres moins. Mais si je le fais, le Dre tchenn s'en rendra compte immédiatement. Ta souffrance, c'est justement ce qu'il recherche.

Un long moment s'écoula, durant lequel Julien s'efforça de calmer la terreur qui s'emparait de lui à la pensée de replonger dans l'enfer. Finalement, il demanda :

- Et ça va durer combien de temps ?

- Si tu préfères, je peux au moins t'assurer une mort sans douleur. Le Dre tchenn peut t'empêcher, toi, de te tuer, mais il ne peut pas m'empêcher, moi, de le faire durant la stase.

- Ça vous libérera aussi ?

- La question n'est pas là.

- Vous ne pouvez pas me mentir, hein ?

- Non. Tu le sentirais immédiatement.

- On ne pourrait pas attendre, tout simplement ? Je suis sûr que tout le monde est déjà à ma recherche.

- Ça ne fait pas le moindre doute. Tel que je connais Subadar, il est certainement en route pour venir jusqu'ici. Il est déjà venu autrefois et il doit se douter que des sorciers Ténébreux sont mêlés à ce qui t'arrive. Malheureusement, je te rappelle que le temps ne passe pas, à l'extérieur. Nous pourrions attendre une éternité que pas un atome n'aurait bougé au moment où nous sortirions de stase. Pour que quelqu'un vienne à ton secours, il faut que le temps passe.

- D'accord. Combien de temps ?

- Je ne sais pas.

- Qu'est-ce qui se passera si vous... Si je vous demande de me faire mourir ?

- Je peux souffler ton... ce qui fait que tu es toi, que tu existes et que tu le sais, je peux souffler cela comme la flamme d'une bougie. Tu ne sentiras rien. Simplement, tu ne seras plus. Pour toi, ça ne sera pas différent de quand tu dors et que tu ne rêves pas.

- Je ne me réveillerai jamais, c'est tout. C'est bien ça ?

- Jamais est un bien grand mot, mais oui, c'est ça.

- Et vous, qu'est-ce qui vous arrivera ?

- Tu n'as pas besoin de t'en préoccuper. De toute façon, ça ne te concernera plus.

- Je crois que j'ai le droit de savoir.

- Effectivement. Eh bien si tu n'es plus là, j'hériterai d'un corps en parfait état de marche et je sortirai de stase. Quand le Dre tchenn s'apercevra de ce qui se passe, il sera furieux, mais Subadar finira par arriver, tôt ou tard. Alors, je ferai ce que j'ai à faire et, ou bien je parviendrai à me libérer, ou bien je mourrai. Si je meurs, l'histoire recommencera et...

- Mais vous avez une chance de vous libérer. Ça veut dire que vous pourriez arriver à ce que vous voulez ? Ça veut dire que vous pourriez arriver à ne plus renaître comme empereur ?

- Oui. Mais j'aurais certainement plus de chances d'y arriver si tu étais toujours là.

- Comment ça ?

- Tu ne t'en rends pas compte, mais tu as accompli des choses étonnantes, auxquelles je ne suis jamais parvenu.

- Ça m'étonnerait !

- Tu es parvenu à te concilier Xarax. Je n'en ai jamais été capable. Pour toi, il a résisté à son conditionnement. Si j'avais pu faire ça, tout cela serait terminé depuis longtemps. Tu as réussi à réunir un Nyingtchik unique.

- Ils ont du génie, je n'y suis pour rien.

- Sans toi Ambar serait toujours sur les quais et Yülien ne serait qu'un excellent Passeur encore à confirmer. Ne sous‑estime pas ton influence. Ou ta valeur.

- Ma valeur ?!

- Pourquoi crois-tu que les gens t'aiment ? Ce n'est pas seulement parce que tu es joli à regarder, ou parce que tu es l'Empereur, tu sais. C'est parce qu'ils voient en toi ce que tu es incapable de voir toi-même. Il serait dommage que tout ça soit perdu. Mais la décision t'appartient.

- J'ai peur. C'était terrible. Je ne pourrai pas supporter ça. Je préfère mourir tout-de-suite.

- Je comprends.

- Si vous... Si vous vous en sortez, essayez d'expliquer à Ambar. Il aura quand même toujours Yülien, ça sera moins... Et mes parents. Je ne veux pas qu'ils sachent. Et... Écoutez, on va quand même faire un essai.

- Si tu veux.

- Vous nous sortez de stase, juste quelques secondes, et puis vous nous ramenez. Vous pouvez faire ça ?

- Oui.

- Peut-être que comme ça, par petits bouts, avec des pauses, j'y arriverai quand même. Vous ne croyez pas ?

Yulmir hésita un instant avant de répondre :

- Non, je ne crois pas. Et je ne veux pas.

- Mais...

- Je ne veux plus qu'on souffre à ma place. Je ne veux plus que d'autres subissent les conséquences de mes décisions. Et je veux que tu aies une chance de vivre ta propre vie. Nous allons nous battre. Ensemble. Tu me suis ?

Malgré la situation désespérée, Julien ne put s'empêcher de tenter un faible trait d'humour.

- J'aimerais mieux aller chez le dentiste, mais je crois que je n'ai pas vraiment le choix.

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