JULIEN

II

Chapitre 76

Une petite victoire

 

Comme la majorité des êtres humains s'ils s'étaient trouvés à sa place, Julien, adolescent constamment bouleversé par les transformations encore en cours dans son organisme, était incapable de résister aux sollicitations érotiques du sorcier d'Eng'Hornath. Mais quelque part au fond de sa conscience Yulmir, le Gardien des neuf Mondes était, lui, à même de réaliser ce qui était en train de se produire.

Tout-à-coup, Julien eut la certitude que s'il laissait cette créature parvenir à ses fins, il en serait définitivement souillé ; que si, par un impossible miracle, il échappait à la mort quelque chose en lui appartiendrait à jamais à son bourreau ; que cet acte, qui avait le pouvoir de l'amener jusqu'au plus près du seul être qu'il ait jamais à ce point aimé, serait pour toujours une répétition de cet instant maudit ; qu'il allait être définitivement lié à ce pour quoi il ressentait une aversion absolue.

En fait, il n'eut pas le temps de raisonner. Simplement, il sut sans le moindre doute possible qu'il ne devait céder sous aucun prétexte à ce besoin impérieux, grandissant, irrésistible qui déjà s'apprêtait à provoquer ce premier spasme, annonciateur de l'irréversible explosion du plaisir. Il sut aussi ce qu'il devait faire pour l'enrayer, pour reprendre le contrôle d'un mécanisme auquel il n'avait jamais eu vraiment accès.

Cependant, le fait de savoir comment faire, s'il rendait la chose possible, ne la rendait pas pour autant moins difficile. Tout une part de lui-même voulait plus que tout s'abîmer dans cette déflagration imminente. Tous ses nerfs, rendus plus sensibles encore par le sandar, lui criaient que la décharge libératrice était là, juste à portée, qu'il suffisait de l'accueillir.

Il n'était plus qu'à quelques battements de cœur d'un orgasme qui eût été sa perte lorsqu'il retrouva enfin suffisamment d'empire sur lui-même pour désactiver les transmissions nerveuses, contrôler le flux des hormones et mettre fin à la tyrannie du plaisir infligé. Malgré les manipulations, son pénis se désengorgea et s'amollit entre les doigts du sorcier.

La gifle, lancée à toute volée, fut tellement brutale qu'il ne la sentit que comme un choc et qu'il fallut plusieurs secondes avant que la douleur cuisante n'apparaisse. Mais à-travers les larmes qui brouillaient sa vision, l'expression de rage insane de l'homme lui dit ce qu'il voulait savoir. Cette rage était l'aveu d'un échec. On allait sans aucun doute le lui faire payer, mais il était sorti vainqueur de cette première confrontation.

Le coup de poing qui suivit lui aurait éclaté la rate si le sorcier ne s'était souvenu, à l'ultime fraction de seconde, que le garçon n'était pas une victime ordinaire et qu'il était essentiel, à la fois pour la suite des opérations et pour sa survie personnelle, qu'il soit remis en relativement bon état à Celui qui devait être son gardien. Malgré tout, la douleur foudroyante dépassa tout ce que Julien avait jamais ressenti jusque-là. Ses jambes se dérobèrent alors qu'il cherchait désespérément à forcer ses poumons à respirer de nouveau.

L'officiant cria quelque chose que Julien, dans la brume de souffrance où il se débattait, ne prit pas la peine d'essayer de comprendre et les deux acolytes le traînèrent jusqu'à une sorte de protubérance plus ou moins arrondie de la table de pierre où ils le jetèrent à plat-ventre et le lièrent, bras et jambes écartés, à des anneaux taillés dans la masse du roc lui-même. Une odeur écœurante se dégageait d'un enduit brunâtre, visqueux, qui ne pouvait sûrement être composé d'autre chose que de couches accumulées de sang plus ou moins ancien. Il vomit son petit déjeuner.

La douleur, dans son ventre avait diminué et lui laissait de nouveau la possibilité de penser, mais les seules pensées qui lui venaient étaient beaucoup trop lucides pour son goût. La position dans laquelle il était attaché ne lui laissait pas la moindre illusion sur ce qu'on comptait lui faire avant de passer à des choses encore plus sérieuses. Il eut aussi le temps de se dire que, si ses amis ne l'avaient pas déjà secouru, c'est que le klirk de Wenn Hyaï ne servait à rien dans cet endroit et donc qu'il n'y avait que fort peu de chances pour qu'on vienne à son secours dans un avenir prévisible.

Il eut le temps de sentir s'installer la peur ; une peur qui n'avait plus grand chose à voir avec le choc brutal de la confrontation avec une situation démente ; une peur qui distillait un désespoir profond, essentiel, ancré dans la certitude qu'il allait mourir seul, aux mains de bourreaux uniquement intéressés à le faire souffrir autant qu'il était possible, sans même l'espoir d'arrêter la torture en fournissant des réponses. On ne lui poserait pas de questions. On lui ferait simplement mal.

Il allait hurler dans un monde où Ambar ne pouvait pas l'entendre et s'éteindre sans le réconfort, au moins, de l'avoir revu.

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Chapitre 77

Souffrance

 

La Voix du cercle d'Eng'Hornath avait le plus grand mal à contenir sa rage. Cependant, un reste de lucidité l'empêchait de faire payer à cette petite merde à cheveux rouges le prix de sa résistance. Sous le coup de l'humiliation, il avait bien failli le tuer. Il lui avait fallu mobiliser toute sa volonté pour retenir son coup.Il l'avait fait attacher sur le Ventre de Dr'Haïrr avec l'intention de s'enfoncer en lui avec toute la brutalité dont il était capable mais, là encore, il devait se refuser le plaisir de la vengeance immédiate. Ce qu'il voulait infliger n'était pas du plaisir, mais un châtiment qui déchirerait les tripes du petit bâtard et un tel traitement, même s'il n'était pas immédiatement mortel, risquait fort de compromettre gravement sa survie à plus long terme. Et aussi délectable que fût la perspective d'assister à la lente et infiniment douloureuse agonie de son ennemi, il ne pouvait se permettre de compromettre ainsi le succès de toute l'entreprise.

De plus, livrer à Celui-qui-murmure une proie qui risquait fort, même s'il se retirait avant le dernier instant, de contenir aussi sa propre semence n'était peut-être pas très judicieux lorsqu'on avait le moindre soupçon de ce qu'un Dre tchenn majeur pourrait faire d'un fluide si précieux.

Par contre, rien n'empêchait de le battre... On pouvait même le faire de manière à ne rien endommager. Ou du moins, pas de manière définitive.

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Les parents de Julien avaient des principes. Et l'un de ceux-ci était qu'on n'obtient rien d'un enfant par la violence. Il n'avait jamais reçu une gifle, ni une fessée, pas même une tape un peu forte sur les fesses, encore moins une ''dérouillée''. Cependant, l'horrible brûlure du fouet khanil en travers de son dos lui fut presque un soulagement. Malgré la sensation qu'un acide imbibait soudain ses muscles jusqu'aux os, ce n'était pas l'abomination du viol sauvage auquel il s'attendait.

Malgré tout, son hurlement résonna comme une musique aux oreilles du sorcier. Le ''fouet'' khanil était en fait une créature évoquant plus ou moins un croisement d'anguille et de méduse dont le contact provoquait une atroce sensation de brûlure qui paralysait instantanément ses proies et décourageait efficacement la plupart de ses prédateurs. Les sorciers proscrits de Tandil l'utilisaient depuis toujours comme instrument de torture.

Tout l'art de l'utilisation du khanil consistait à savoir dispenser les coups en variant constamment l'endroit et l'intervalle auxquels ils étaient appliqués de manière à provoquer des vagues de souffrance totalement imprévisibles.

Mais le khanil, comme tout instrument un tant soi peu sophistiqué, avait l'inconvénient de faire en quelque sorte écran entre le bourreau et sa victime. La Voix du Cercle, pour apaiser un peu sa rage, avait besoin d'un véritable contact. Faire mal était une bonne chose ; sentir qu'on faisait mal était encore meilleur. Il voulait toucher la chair dolente, sentir les ligaments se distendre et se rompre, voir de près la sueur de l'angoisse sourdre et ruisseler sur la peau. Le désir de mettre ses mains sur ce corps pâle pour le pétrir, le tordre, le briser était comme une fringale soudaine, plus impérieuse encore que le sexe.

Rejetant le khanil dans son bassin, il abattit sa main sur une fesse de Julien et serra, plantant ses ongles épais, taillés en griffes, dans la peau blanche alors que le grincement de la flûte s'enflait, évoquant le crissement des pattes d'une énorme araignée glissant sur une dalle d'obsidienne et que l'arythmie du tambour augmentait d'un degré sa folie.

Il sentit le muscle se contracter sous ses doigts alors que le garçon, qui s'était tu un instant, laissait échapper un râle puis, comme il tordait plus fort encore, faisant jaillir le sang sous ses griffes, un mélange de hurlement et de sanglot où perçait un désespoir si parfait qu'il éjacula, tout son corps tendu comme un arc, la tête rejetée en arrière, son vit dressé crachant en longues saccades un sperme épais, fumant dans l'air frigide des petites heures de l'aube.

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