JULIEN

II

 

Chapitre 34


 

Quelques réponses


 

Le retour des naufragés au Terrier fut accueilli dans la joie, bien sûr, mais aussi avec un regain d'inquiétude. L'incident se terminait bien, mais on avait tremblé à l'idée de perdre encore une fois la clé de voûte de l'Empire.


 

Cependant, les plus jeunes ne ne tardèrent pas à plaisanter sur la tenue extravagante d'Ambar et Julien dût expliquer tant bien que mal le succès planétaire des ''Stones'' qu'il n'appréciait d'ailleurs que modérément, étant lui-même un fervent partisan des Quatre d'Abbey Road.


 

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L'arrivée de Subadar accompagné d'Aïn au petit déjeuner laissait présager des complications.

- Sire, Aïn est retourné sur le site où nous vous avons retrouvé. Voici ce qu'il a découvert.

Subadar lui tendit un petit disque de métal gris qu'il identifia immédiatement.

- Un klirk-cible ?! Sur Terre ! Mais à qui est-ce qu'il appartient ? Aïn doit le savoir !

Le passeur s'approcha et établit la communication.

- Je ne comprenais pas pourquoi vous aviez sauté juste sur ce point précis de la planète. Il aurait été logique que vous retourniez à la maison de vos parents. Mais là, il n'y avait absolument aucune raison. À la rigueur, il aurait été plus logique qu'une aberration du Don vous envoie n'importe où dans le R'hinz. Mais si vous deviez aller sur Terre, vous ne pouviez pratiquement pas tomber ailleurs que chez vos parents. Il fallait absolument que quelque chose vous ait attiré. Alors, j'ai cherché le point précis de votre arrivée dans cette prairie. Ce n'était pas très difficile, votre odeur y était encore bien présente. J'ai dû creuser un peu mais, heureusement, la couche de terre n'est pas très profonde. Et j'ai trouvé ce klirk-cible. C'est, sans aucune erreur possible un de vos propres klirks-cibles.

- Un de mes klirks ?! Mais je n'ai pas de klirks-cibles !

- Yulmir en avait. Et Yulmir, c'est vous, Sire.

- Mais enfin ! Ça n'a pas de sens !

- Peut-être, mais ce sont des faits. Il n'existe que deux possibilités : ou Yulmir s'est déjà rendu sur votre monde, ou quelqu'un y a placé un de ses klirks. De toute façon, cela explique que vous ayez repris un corps sur Terre plutôt que n'importe où ailleurs.

- Subadar, qu'est-ce que vous pensez de tout ça ? Je suppose qu'Aïn vous a tout raconté.

- Oui, Sire.

- Arrêtez de m'appeler comme ça, sil vous plaît. En ce moment, ça me donne la chair de poule.

- Bien, Julien. Sa théorie se tient. Elle a le mérite d'expliquer quelques uns des mystères qui concernent votre manifestation hors du R'hinz. D'un autre côté, elle soulève d'autres questions pour lesquelles nous n'avons pas l'ombre d'une réponse. Jamais, à ma connaissance, l'Empereur n'a fait mention d'une exploration vers votre monde. Il n'en existe aucune trace dans les archives.

- Vous en êtes certain ?

- Un tel fait ne serait pas passé inaperçu.

- Peut-être que Xarax se souviendra de quelque chose. Je vais aller le chercher, il est certainement encore avec Dillik.

Mais Xarax arrivait déjà, volant silencieusement pour éviter sans doute de réveiller les dormeurs. Il se posa un instant sur le dos d'Aïn, puis il vint prendre sa place sur Julien.

- Je n'ai jamais rien entendu à propos d'un voyage hors du R'hinz. Si Yulmir est allé sur Terre, il a fait en sorte que son haptir ne le sache pas. C'est pratiquement impossible.

- Xarax ne sait rien. Et il dit que c'est pratiquement impossible que Yulmir ait pu aller sur Terre sans que son haptir soit au courant.

- Cela nous laisse avec l'hypothèse que quelqu'un a été un jour assez habile pour voler un klirk-cible de l'Empereur et croyez-moi, ça non plus, ce n'est pas facile, et qu'en plus cette même personne, ou bien son complice a voyagé jusqu'à la Terre pour y enterrer ce klirk. De plus, on ne sait pas quand tout ça s'est produit. Cela a peut-être eu lieu il y a plusieurs centaines de cycles. Les klirks-cibles ne portent aucune indication de la date de leur fabrication et leur métal est pratiquement inaltérable. Quoi qu'il en soit, je pense que c'est le retour de certain éléments de votre nature passée qui a fait que quelque chose, en vous, a été attiré vers ce klirk.

- Subadar, franchement, je préfère quand ce sont des souvenirs de vous qui me reviennent.

- J'en suis flatté, mais je crains qu'on n'y puisse pas grand chose.

- Qu'est-ce que vous suggérez qu'on fasse ?

- Pour l'instant, il n'y a rien à faire. Je vais lancer des recherches dans les archives, et je pense qu'Aïn devrait vérifier du côté des livres des Faiseurs de klirks. Mais j'ai peu d'espoir. En ce qui vous concerne, je vous suggère de vous installer pour quelques jours à Rüpel Gyamtso. Vous avez grand besoin d'un peu de détente.


 

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Subadar était sincère, mais la détente ne pouvait être totale alors que l'Empire continuait d'être soumis à des événements dont personne ne pouvait prédire l'issue. Aussi Julien ne fut-il guère surpris de voir sa baignade du matin interrompue par l'arrivée de Tannder et Dennkar. Au moins, l'entretien se déroula-t-il sur la plage, à l'ombre douce des grands arbres.

- Sire, annonça Dennkar, nous en savons un peu plus sur notre ennemi. Le sondage du premier agent, Yarek, ne nous a pas appris grand chose, sa place dans leur hiérarchie était insignifiante. Toutefois, il nous a permis de nous faire une idée de leur culture et de leur histoire. Leur peuple, les Dalanns, est semble-t-il ''venu des étoiles'' et s'est installé sur Sar Talak ou il a développé une culture tout entière tournée vers la découverte et la conquête d'autres mondes. Cependant, ils n'ont jamais pu voyager ''vers les étoiles'' car leurs vaisseaux, bien qu'atteignant des vitesses prodigieuses, se heurtent à une sorte de limite qui tiendrait, d'après ce que nous en comprenons, à la lumière elle-même.

- C'est la vitesse de la lumière, déclara Julien, heureux que sa passion pour la SF soit d'une certaine utilité. On ne peut pas aller plus vite que la lumière.

- Ils ont dû se contenter de visiter les mondes qui gravitent autour de Nyinka, leur soleil. C'est pourquoi ils ont continué de développer un processus ''apporté des étoiles'' qui est en fait une forme mécanique de l'Art des Passeurs et qu'ils appellent le ''générateur de non-champ''. Avec cette chose, ils ont commencé d'explorer l'univers et ils ont fini par nous trouver. Cela leur a pris un temps très long. Plusieurs milliers de cycles. En fait, ils ont trouvé Dvârinn. Ils ont alors étudié patiemment la culture de Dvârinn et ils ont découvert l'existence des Passeurs. Pour eux, c'était une découverte majeure. En effet, l'utilisation de leur générateur de non-champ nécessite, ou plutôt nécessitait, une énergie gigantesque. Alors qu'un Passeur peut faire mieux sans en dépenser plus que pour respirer ou penser.

- On sait pourquoi ?

Wenn Hyaï, qui avait amené les deux Guerriers et s'était jusque-là tenu un peu à l'écart, s'approcha et établit le contact.

- Nous pensons qu'il s'agit essentiellement d'une question de finesse.

- De finesse ?

- Oui, Sire. Lorsque vous voulez coudre, par exemple, vous utilisez une aiguille, qui passe facilement à-travers les fibres du tissu. Mais si vous tentiez de coudre avec un clou, il vous faudrait exercer une pression beaucoup plus forte et, en plus, vous abîmeriez le tissu. Si, au lieu d'un clou, vous ne disposiez que du tronc d'un arbre, à supposer que le tissu soit suffisamment vaste et résistant pour ça, vous devriez employer une force colossale. Ceci n'est qu'une comparaison, bien sûr, mais cela vous donne une idée de ce que nous entendons par ''une question de finesse''. L'esprit d'un Passeur - votre esprit, Sire - est l'aiguille la plus fine qu'on puisse concevoir et se glisse sans effort dans le tissu de l'univers. Par contre, il semble que ce ''générateur de non-champ'' ait été un instrument incroyablement grossier. Il laissait d'ailleurs dans l'En-dehors des traces faciles à repérer une fois que nous avons eu l'idée de les chercher.

- Il semble, reprit Dennkar, qu'ils avaient un plan à très long terme pour annexer les Neuf Mondes et que ce plan était entré dans une phase active destinée à déstabiliser tout notre système politique. Nous allons certainement avoir bientôt une image un peu plus complète. Jusqu'à présent, un peu plus d'une centaine de leurs agents se sont livrés et nous sondons systématiquement tous ceux qui y consentent. Cependant, on peut craindre une action plus ou moins violente et désespérée de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne se livreront pas. Et malheureusement, il y a de forte chances pour que ce soit justement ceux qui en savent le plus.

- Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider ?

- Pour l'instant, Sire, le seul fait de vous avoir retrouvé et de savoir que vous profitez d'un moment de paix nous aide réellement beaucoup.

- Je vous remercie, Dennkar. Peut-être Maître Tannder désire-t-il récupérer son disciple ?

- Non, merci Julien. La présence de Karik m'est agréable, mais il n'est rien pour l'instant qui requière ses compétences et je suis, moi aussi, très heureux de le voir s'amuser un peu. Je le déclare donc en vacances.

- Vous m'inquiétez, tous les deux. Vous ne m'aviez pas habitué à ça. Vous êtes sûrs que vous n'êtes pas en train de vous ramollir ?

- Pouvez-vous préciser ce que vous entendez exactement par là ?

Julien allait répondre lorsqu'il perçut la lueur maligne dans l’œil de Tannder.

- Rassurez-vous, Karik ne m'a rien dit.

Dennkar partit d'un grand rire et frappa sur l'épaule de son compagnon :

- Voilà ce qu'il en coûte de tirer la moustache du tak !


 

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Chapitre 35


 

Rodrigue! etc.


 

Julien, cependant, fut rattrapé par le devoir. Alors qu'il s'apprêtait à s'embarquer avec Dillik sur un catamaran, pour se lancer à la poursuite de Niil, un messager officiel des Bakhtars lui transmit un pli du Premier Sire Aldegard sollicitant respectueusement un entretien dans un délai compatible, bien sûr, avec l'Emploi du Temps de l'Empereur. Le seul fait que son messager ai trouvé Julien en cet endroit précis au moment-même où il achevait son repas prouvait abondamment qu'Aldegard était parfaitement au courant de son agenda et qu'il estimait, en conséquence, que celui-ci pouvait sans dommage lui consacrer un peu de son précieux temps de farniente. Aussi, comme il n'avait aucune raison particulière d'indisposer son précieux Miroir, l'Empereur renonça à la course projetée et se dirigea vers le klirk de la maison accompagné de son haptir et de son Passeur personnel.


 

Après s'être dûment excusé, et avoir proposé des rafraîchissements, Aldegard en vint au motif de l'entrevue :

- Ajmer, le traître qui a jeté l'opprobre sur l'honneur des Bakhtars, a révélé tout ce qu'il pouvait connaître de l'ennemi et de ses plans.

- C'est à dire, pas grand chose.

- Effectivement. Il n'est donc plus d'aucune utilité à nos Services de contre-intelligence.

- C'est sans doute vrai.

- Je suis donc en droit d'exiger réparation sans plus tarder.

- Heu... Qu'est-ce que vous entendez exactement par là ? N'oubliez pas que je n'avais l'intention de l'étriper comme il le mérite que si Tannder avait été tué. Or, Tannder se porte bien. Heureusement.

- Sans doute, Sire. Cependant, deux hommes sont morts dans cette aventure et un troisième ne sera jamais plus ce qu'il était. De plus, l'honneur des Bakhtars...

- En ce qui me concerne, Aldegard, l'honneur des Bakhtars est intact. S'il n'en était pas ainsi, vous ne seriez plus le Miroir de l'Empereur.

Julien n'était pas complètement pris au dépourvu. Il avait longuement réfléchi à cette lamentable histoire et il savait qu'il devrait un jour aborder cet épineuse question.

- Croyez bien, Sire, que votre confiance est la chose au monde qui m'est la plus précieuse, et le fait que vous la renouveliez ainsi...

Aussi incroyable que cela pût paraître, Aldegard était vraiment au bord des larmes !

- Cependant, reprit-il après avoir péniblement maîtrisé son émotion, nul autre que vous ne comprendrait qu'un tel acte ne soit pas publiquement châtié par moi.

- Est-ce que ça veut dire que vous allez demander à ce qu'il soit envoyé sur Tandil ?

- Je pourrais, mais je ne suis pas assez décrépit pour recourir à un tel subterfuge.

- Vous voulez vous battre avec lui ?!

- J'aimerais en avoir la permission, Sire.

- Et si je vous la refuse ? Comme j'en ai sans doute le droit ? Après tout, je n'ai pas envie qu'un stupide petit intriguant me prive à la fois d'un ami et d'un homme indispensable. Ça n'est pas que je doute de vos talents de bretteur, mais un accident peut toujours arriver.

- Si vous me refusez votre permission, Sire, je m'inclinerai.

- À la bonne heure !

- Mais...

- Évidemment, ça ne pouvait pas être aussi simple.

- Je devrai aussi renoncer à ma charge de Miroir et, sans doute, me décharger de mes responsabilités de Premier Sire sur des épaules plus dignes de les assumer. Personne ne comprendrait que l'Empereur accepte d'être représenté par un homme incapable de...

- Oui, je sais, incapable de laver dans le sang et cœtera, et cœtera. Vous devriez lire ''Le Cid'', je suis sûr que ça vous plairait. Aldegard, cette histoire me désole. Ce salaud mérite sans doute d'aller servir de casse-croûte aux taks. Je n'ai vraiment pas envie de vous perdre. Pourquoi est-ce que tous mes amis sont démangés par l'envie de se faire embrocher ?! D'abord Niil, et maintenant, vous !

- …

- Bien sûr, je vous donne ma permission. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'autre ?! Et vous avez intérêt à vous entraîner, parce que si vous vous faites tuer...

- Je suis aussi prêt qu'on peut l'être, Sire.

- Je m'en doutais un peu. Et vous voulez faire ça quand ?

- Je n'avais pas l'intention de gâcher vos... le temps que vous passez avec vos amis.

- Cessez de tourner autour du pot. Quand ?

- Demain, Sire, serait un bon jour.

- Je vois. Et je suppose qu'on veut que j'assiste au spectacle, non ?

- Votre présence serait un honneur, Sire.

- Si vous prononcez ce mot encore une fois devant moi aujourd'hui, je vais faire un malheur !

- Bien, Sire.

- Je suppose qu'on fait ça à l'aube, dans les jardins de la Tour ?

- Cela peut se faire ainsi, si vous y tenez, Sire. Mais d'habitude, ce genre de chose a lieu en début d'après-midi, dans la salle d'armes.

- Oui, c'est vrai, suis-je bête ! Rien de tel qu'un combat à mort pour vous faciliter la digestion ! Je viendrai.


 

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