JULIEN

II

 

Chapitre 33


 

Sauvetage


 

Lorsqu'Ambar réapparut avec l'air satisfait du chat qui a mangé le canari, Julien ne fut guère surpris de voir que Grégoire, qui le suivait à quelques pas en s'efforçant de n'avoir l'air de rien, avait en fait la tête du chercheur d'or qui vient de trouver la pépite du siècle et voudrait que nul ne s'en doute. Décidément, cette patrouille semblait avoir des mœurs différentes que les prudes Léopards dont il avait jadis fait partie. Peut-être la fameuse ''révolution sexuelle'' dont on commençait à entendre parler avait-elle balayé la planète en son absence ? Pour sa part, il avait bien sûr soigneusement évité toute allusion à cet aspect de ses aventures.

Il fut tiré de sa réflexion par une question de Norbert, dit Nono, Second de Patrouille, quatorze ans aux prunes et des cheveux d'un noir de jais aussi raides que ceux d'un indien d'Amazonie.

- Je ne comprends pas bien. Tu dis que tout d'un coup, tu as perdu ce fameux don de voyager dans l'hyperespace ?

- Oui.

- C'est pratique.

- Comment-ça ?

- Ben oui quoi. Monsieur est un Empereur extra-terrestre. Il a traversé la galaxie. Mais il ne peut pas le prouver, il a perdu ses pouvoirs. Alors, il a besoin d'un ticket de train pour rentrer chez lui. Tu ne voudrais tout-de-même pas qu'on avale ça ?

- Ça te regarde, mais si tu as une autre explication à proposer, je t'écoute.

- Vous êtes des petits plaisantins envoyés par Aurochs pour nous mener en bateau.

- Je ne connais pas d’Aurochs. Mais si c'est ton Chef de Troupe, tu te fourres le doigt dans l’œil. En plus, s'il avait assez d'imagination pour inventer un truc pareil, il l'aurait déjà publié au Signe de Piste !

- Tu prétends vraiment que c'est pas des bobards ?

Se tournant vers Pic-vert, Julien soupira :

- Je t'avais bien dit qu'on ne me croirait pas.

- Et moi, je n'ai jamais prétendu le contraire. Avoue que c'est vraiment dur à avaler. Si vous n'êtes pas envoyés par Aurochs, qu'est-ce que vous êtes ? Vous vous êtes échappés d'un cirque ? Et même, tiens, en admettant que je veuille croire une seconde à ton délire, comment ça se fait que tu as perdu ton soi-disant don ?

- Heu... ben... Il paraît que c'est dû à la puberté.

- C'est quoi, la puberté ? Demanda Raphaël, le ''cul de pat' '', petit frère de Nathanaël, tout aussi blond que son aîné et tout juste débarqué, à onze ans trois-quarts, de la Meute des louveteaux.

- C'est quand t'arrêtes de tirer à blanc, l'informa son frère.

- Tirer à blanc ?

- Laisse tomber.

- Ah ! Ça y est, j'ai compris ! C'est quand tu jutes ! Comme...

Le coup de coude qui le fit taire, lui tira aussi une protestation :

- C'est pas la peine de me taper !

- Ça suffit, vous deux ! intervint Pic-vert et, s'adressant de nouveau à Julien : la puberté. Là, pardonne-moi, mais tu te fous carrément de ma gueule. L'Empereur de l'Univers qui se retrouve en panne parce qu'il commence à juter ! Il y a de quoi faire rigoler toute la galaxie !

- Bon, écoutez, si vous ne voulez pas me croire, c'est votre droit. Après tout, on ne peut pas empêcher les gens d'être plus cons que la moyenne. Je ne vous demande rien. On va simplement aller s'installer un peu plus loin en attendant que quelqu'un vienne nous chercher.

- Dis donc, tu pourrais rester poli !

- Je voudrais t'y voir, toi ! Ça fait plus de deux heures que je te raconte la stricte vérité, et tout ce que je récolte, c'est de me faire traiter de menteur ! Ambar, sho ! Ngatso paghir drona mato, tab mindou. Nga kang senna, kontso dennpa mareh sammgui dou.

Comme Ambar se levait avec un air profondément choqué, Norbert, finalement troublé, intervint :

- Hé ! Attends ! Qu'est-ce que tu lui as dit ?

- Rien du tout, j'ai seulement fait du bruit pour faire croire que je parlais.

- Bon, si c'est comme ça, allez vous faire foutre.

- Non mais, ça va pas ?!

Grégoire s'était levé. Ils n'avaient pas vraiment discuté, avec Ambar, mais il était sûr d'une chose : il aimait bien ce gamin. Et pas seulement pour sa façon de se distraire. Il n'avait pas l'intention de le voir disparaître ainsi de sa vie.

- On s'en fout de savoir si c'est vrai ou pas ! Moi, je pense que oui. Mais depuis quand on fout les gens dehors quand y vous ont rien fait ?! L'hospitalité Nono, t'as jamais appris ?

- Mais c'est lui qui...

- STOP !!! Pic-vert savait parfois faire preuve d'une indéniable autorité. S'il te plaît, Julien, demande-lui de se rasseoir. Qu'est-ce que tu lui disais, à propos ?

- Je lui ai dit qu'on devait s'en aller, que vous ne vouliez pas me croire.

- Bon. Je reconnais qu'on s'est tous un peu emballés. Avoue que c'est difficile à avaler.

- Ça, je veux bien le reconnaître. Moi-même, je n'ai pas la moindre idée de pourquoi on se retrouve ici plutôt qu'à Pétaouschnok, à l'autre bout de la... Bon, on va pas remettre ça.

- Non. Et Grégoire n'a pas tort. Vous êtes nos invités... si tu veux bien rester un peu avec nous, bien sûr.

- Merci. Et pardonne-moi de vous avoir traités de...

- Ça n'a pas d'importance. D'ailleurs, on t'avait pratiquement traité de menteur, alors... On est quittes. Voila ce que je te propose : nous, de toute façon, il faut qu'on reste dans le coin, alors on peut vous héberger au moins jusqu'à dimanche prochain. Après, on pourra toujours voir ce qu'on peut faire. De toute façon, il faudra trouver un moyen de cacher vos tatouages. C'est joli, c'est vrai, mais vous allez vous faire arrêter par le premier flic que vous croiserez.

- Ça n'est pas des tatouages. D'ailleurs, je peux enlever les miens. Mais pour ceux ceux d'Ambar, c'est plus compliqué. Il faudrait qu'on retourne sur Nüngen, ajouta-t-il comme pour lui-même, et là-bas, il n'y aurait pas de raison de les enlever.

- On pourrait peut-être le maquiller, lui mettre un truc comme les bonnes femmes, suggéra Raphaël.

- Ouais ! Du fond teint ! S'enthousiasma son grand frère. On pourrait aller en acheter.

- Et puis, continua Norbert, bien décidé à faire la paix, on peut vous donner des vêtements. On n'a pas vraiment besoin de nos tenues de jeu.

- De toute façon, dit Pic-vert, il faudra attendre au moins deux jours. Demain, c'est dimanche et après-demain, c'est le lundi de Pâques. Tout est fermé. Nous, précisa-t-il, on reste ici jusqu'à dimanche prochain, on est en vacances et on a eu l'autorisation de faire un camp de patrouille pour faire le repérage de la rivière en bas. On aura tout le temps de penser à ce qu'on peut faire pour vous aider.

- Merci. Ça n'est pas de refus. Mais j'espère que d'ici-là j'aurai trouvé un moyen de rentrer.

- Je te le souhaite bien sûr. Mais si jamais ça ne marche pas, tu peux compter sur nous. En attendant, si ça vous tente d'aller jusqu'à la rivière avec nous, on va vous prêter des vêtement un peu plus discrets.


 

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Ambar fit sensation lorsqu'il se dépouilla de son laï pour apparaître en plein soleil, tout de miel et d'argent et sans la moindre gêne, dans toute sa splendide nudité. Devant un tel miracle, il n'était pas question de feindre une indifférence polie et il fut aussitôt entouré de garçons qui s'extasiaient ouvertement et avaient manifestement de la peine à ne pas suivre du bout des doigts, ainsi que Julien l'avait fait si souvent, le labyrinthe complexe de ses Marques. Ce fut le jeune Raphaël, bien sûr, littéralement subjugué et passablement envieux qui posa la question :

- Ça va jusqu'en-dessous, ou ça s'arrête là ? demanda-t-il en pointant du doigt le petit bec fripé du prépuce.

- Rapha ! s'indigna son frère en lui envoyant une bourrade.

Bien qu'il n'en comprît pas un traître mot, Ambar saisit cependant l'essence de la question et y répondit avec un sourire en découvrant du pouce et de l'index ce qui se cachait là afin que chacun pût constater, outre que la chose était d'une impeccable et hygiénique propreté, que les jolis dessins s'arrêtaient bien à ''l'extérieur''. Grégoire, bien sûr, aurait pu répondre, ayant examiné l'objet de très, très près, mais il ne jugeait sans doute pas opportun de partager sa science récemment acquise... Il contribua cependant à la vêture de son complice en se séparant, pour lui en faire don, de son tee-shirt favori, orné d'une énorme langue devenue l'emblème universellement reconnu d'un groupe de jeunes gens extrêmement bruyants, mais au demeurant absolument géniaux. Il faut dire qu'Ambar, portant cette chose trop grande de trois tailles, avec cette image à la limite de l’obscénité, aurait pu servir d'enseigne à un lieu de perdition hautement illégal sauf, peut-être, au plus profond de l'Afghanistan.

Julien, lui, fut beaucoup plus discret et profita de l'émoi causé par le maître incontesté de son cœur et de ses sens pour enfiler, sans tambours ni trompettes, un short beige par-dessus son caleçon et une chemise à carreaux fournie par Nono et s'en fut rejoindre le cercle des admirateurs, qu'on sentait maintenant vaguement déçus de la nécessité de couvrir ainsi une perfection qu'aucun accessoire ne pouvait vraiment améliorer. L'aimable Raphaël, qui avait pour sa part fourni un short et l'indispensable slip ''Petit bateau'' de coton blanc, avait l'air vaguement troublé et il n'était pas impossible qu'il fût en train d'imaginer comment ces vêtements, qui avaient serré de près son intimité, enveloppaient maintenant les trésors qu'il venait de contempler durant un instant vraiment trop bref.


 

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La petite rivière, aux berges encombrées d'une végétation dense, coulait à travers un chaos de granit usé et pouvait être traversée à gué en de nombreux points de son parcours. Elle était aussi glaciale et, à la secrète déception de quelques uns, il n'était pas question de s'y baigner. Sur les quelques centaines de mètres où elle s'enfonçait à-travers une énorme faille dans le socle rocheux, on se trouvait pris dans une sorte de défilé propre à évoquer les aventures les plus exotiques. On était au cœur de la jungle et nul n'aurait été surpris d'entendre le sourd grondement d'un fauve.


 

Par contre, l'apparition d'un vraiment très gros lézard bariolé avait de quoi choquer Norbert, qui marchait en tête et, du coup, glissa sur la mousse humide pour finir, après avoir vainement tenté de rétablir son équilibre en une série de gesticulations ridicules, par s'asseoir brutalement dans trente centimètres d'eau.

- Xarax !

Le cri d'allégresse d'Ambar couvrit un peu les imprécations du Second, qu'un bain de siège à cette température n'enchantait pas le moins du monde, mais qui se tut dans un hoquet de stupeur lorsque le haptir déploya toutes ses ailes pour s'élancer en vrombissant du plus fort qu'il pouvait dans une sorte de danse tournoyante autour de ses amis retrouvés.

- La vache ! Qu'est-ce qu'il est beau !

Ce cri du cœur émanait de Nathanaël, féru d'herpétologie et qui se fût damné pour apercevoir ne fût-ce que le bout de la queue d'un cobra royal.


 

Quand Xarax, après trente secondes de cette exhibition, eut retrouvé sa place légitime sur les épaules de son maître, ce dernier jugea qu'il était temps faire les présentations :

- Les gars, dit il avec un petit sourire satisfait, vous vous souvenez sans doute de Xarax, le Haptir totalement imaginaire, pas possible et irréel de l'Empereur, dont je vous ai parlé. Eh bien, c'est lui.

- Alors, c'était vraiment vrai ?!

Le plaisir de Raphaël de constater que cette histoire merveilleuse était finalement bien réelle réchauffait le cœur de Julien au moins autant que la satisfaction de confondre les sceptiques. Son grand frère, lui, se consumait littéralement du désir d'approcher cet animal fabuleux.

- Il est pas méchant ? Je peux le toucher ?

- Si je lui demande gentiment, il te laissera peut-être approcher. Mais ce n'est pas un toutou. C'est une personne. Et il peut aussi mordre très fort si on fait mine de l'embêter.

- Mais je veux pas l'embêter ! S'il te plaît... Je veux juste...

Il se tut car Xarax, qui suivait cet échange par l'intermédiaire de Julien avait bondi sur ses épaules. Ce que le redoutable ami de l'Empereur lut dans l'esprit du garçon dut lui plaire, car le visage de Nathanaël s'éclaira d'un sourire ravi qui illumina ses traits et les para d'une étrange beauté. Et lorsque Xarax le quitta après quelques secondes pour retrouver Julien, des larmes de bonheur coulaient sur ses joues sans qu'il fît mine de s'en apercevoir

- Il faut qu'on rentre au camp, déclara Julien. Xarax va aller chercher quelqu'un et il nous y rejoindra.

Il ne vint à personne l'idée de contester une autorité qui paraissait soudain aller de soi et le groupe fit aussitôt demi-tour alors que le haptir prenait de nouveau son essor.

Après quelques minutes d'une progression difficile dans les rochers qui rendait impossible la conversation, Pic-vert entreprit de faire amende honorable :

- Bon, quand est-ce que je mange mon béret, Votre Altesse ?

- Et moi, le mien ? ajouta Norbert.

- On ne dit pas Votre altesse, mais quelque chose comme Votre Seigneurie. Et j'ai absolument horreur de ça. Mais si vous pouvez éviter de m'appeler ''Juju'', ça me fera plaisir.

- Pourtant, moi, ''Nono'', ça me va.

- Oui, mais toi, t'as aucune classe, déclara Grégoire.

- Attends qu'on arrive au camp, tu peux garer ton cul !

- Des promesses ! Toujours des promesses !

- Alors, tes amis ont fini par te retrouver, hein ? constata Pic-vert, enfonçant avec entrain une porte grande ouverte.

- On dirait bien. Oui.

- Mais vous êtes pas obligés de partir tout-de-suite, non ? demanda Grégoire.

- Tu sais, on a besoin de nous, là-bas. Tout le monde s'inquiète.

- Vous pouvez pas rester un peu ? Rien que ce soir ?

Julien ne put s'empêcher de sourire en pensant à ce qui motivait cette insistance de la part d'un garçon qui venait vraisemblablement de bénéficier des faveurs d'Ambar.

- Je crains que non.

- Mais, si t'es vraiment l'Empereur, tu peux faire ce que tu veux !

Julien prit le temps de négocier un passage délicat entre deux rocher avant de répondre :

- Si j'exige de rester ici, même un mois, personne n'y trouvera à redire. Je suppose qu'on s'arrangera même pour m'envoyer une tente avec tout le confort. Mais ça ne serait pas bien. J'ai comme qui dirait un boulot à faire, là-bas, et les gens comptent sur moi. En plus, Xarax et Aïn ont certainement pris de gros risques pour me retrouver.

- Aïn ?

- C'est un Passeur. Vous allez le voir tout-à-l'heure.

- Greg ! intervint Pic-vert, arrête de casser les pieds à Julien. On est contents qu'il puisse retourner chez lui. Même si on aurait bien aimé le garder encore un peu.

- Ah ! Tu vois ! Toi aussi tu voudrais bien qu'ils restent.

- On voudrait tous qu'ils restent, appuya Norbert.

- Ils peuvent peut-être nous emmener ? suggéra Nathanaël, plein d'espoir.

- Ouais !!! s'enthousiasma Raphaël, emmène-nous faire un tour chez toi ! S'il te plaît, ajouta-t-il du ton suppliant qu'il prenait pour faire craquer Maman quand il voulait vraiment quelque chose.

Julien éclata de rire. Il n'avait pas de petit frère, du moins pas encore, mais il reconnaissait le ton.

- Je ne crois pas que ce serait une bonne idée.

- Pourquoi ?

- Imagine qu'il arrive quelque chose et qu'on ne puisse pas vous ramener ici.

- Mais vous êtes bien venus, toi et ton copain ! Et ton haptir, là. Il est bien venu aussi.

- Oui, mais c'était pour nous retrouver. Ça n'est pas aussi simple que de prendre le train.

- Alors tu veux pas nous emmener faire un tour chez toi ?

- J'aimerais bien mais, non.

- T'es pas sympa !

- Je sais, mais je n'y peux rien.

- Juste un petit peu, pas longtemps !

- Rapha ! cria Pic-vert, lâche-lui la grappe, tu veux ?

Ils firent le reste du trajet dans un silence meublé seulement par les bruits de la forêt.


 

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- Un chien bleu !!! s'écria Grégoire.

Aïn, sagement assis près de la grande tente de patrouille regardait venir le petit groupe duquel se détacha soudain Ambar qui courut pour lui enserrer le cou sans aucun respect pour les convenances ou le décorum.

-Je vous présente l'Honorable Maître Passeur Ain, déclara Julien avant de poser sa main sur son cou.

- Aïn ! Je suis vraiment heureux de vous voir. Comment m'avez-vous retrouvé ?

- Julien, j'ai eu vraiment très peur quand vous avez sauté. Mais une fois que nous avons été certain que vous n'étiez dans aucun des endroits que vous pouviez connaître dans le R'hinz, j'ai pensé que j'avais de bonne chances de vous trouver sur Terre. Alors, j'ai sauté jusqu'à la maison de vos parents, au bord de la mer. Une fois là, Xarax a pu vous ''sentir'' et nous voici. Cela a été un peu long, pardonnez-moi, mais sauter dans votre pays est assez difficile si on veut éviter de se faire remarquer.

- J'étais certain que vous finiriez par me trouver. C'est pour ça que je n'ai pas essayé de revenir par mes propres moyens.

- J'en suis heureux, Sire, mais que s'est-il passé exactement ?

- J'ai bêtement essayé de sauter vers la Table, comme d'habitude quand je voyage avec vous, mais j'ai oublié de vous tenir. J'avais aussi oublié d'attendre Xarax, d'ailleurs. Je vous promets de ne plus recommencer. Bref, au lieu de la Table, je me suis retrouvé ici, dans cette prairie. Je ne comprends vraiment pas pourquoi, je ne pense pas y être jamais venu.

- C'est un mystère que nous tenterons de dissiper plus tard. Si vous le voulez-bien, je vais vous ramener au Terrier. Vos amis sont morts d'inquiétude.

Julien se tourna vers les scouts qui le regardaient d'un air interrogatif alors que Xarax reprenait sa place sur ses épaules.

- Eh bien, c'est comme je vous disais. Il va falloir qu'on s'en aille. Merci pour le repas et pour votre compagnie. Merci aussi de nous avoir offert votre aide. On va vous rendre vos vêtements...

- Ambar peut garder mon tee-shirt, ça lui fera un souvenir, dit Grégoire sur un ton qui en disait long sur sa répugnance à être si vite séparé de l'ange (ou du jeune faune, qui sait ?) qui venait de le visiter.

- Heu... Faut que je récupère mon short, s'excusa Raphaël, sans ça je vais me faire engueuler.

Il récupéra non seulement son short, mais aussi un slip dont la tiédeur, lorsqu'il le prit des mains d'un Ambar malheureusement couvert jusqu'à mi-cuisses par le fameux tee-shirt, lui causa un trouble dont il ne comprit la nature que beaucoup plus tard, une fois rentré à la maison, lorsqu'il se surprit lui-même à essayer de retrouver l'odeur, hélas absente, de ce qu'il avait contenu pendant une heure. Mais pour l'instant, il voulait faire une dernière tentative pour convaincre Julien :

- T'es vraiment sûr que tu peux pas nous emmener faire un tour ? Juste quelques minutes...

- J'en suis certain. Je ne peux pas demander à un Passeur de prendre des risques pareils juste parce que ça me ferait plaisir de vous emmener avec moi. Sans compter que je ne crois pas que vous seriez heureux d'être bloqués à l'autre bout de l'univers si jamais on ne pouvait pas vous ramener. Je suis vraiment désolé, mais il faut qu'on se dise adieu, maintenant.


 

On se dit donc adieu et Grégoire, qui s'était visiblement retenu de serrer dans ses bras et d'embrasser Ambar, trouva quand même le moyen de glisser discrètement un petit morceau de papier plié dans la main de Julien, papier sur lequel il avait soigneusement inscrit une adresse et un numéro de téléphone ''pour le cas où vous repasseriez dans la région''.


 

Le départ des visiteurs fut un peu décevant. Pas de lumière éblouissante, pas de musique mystérieuse, genre ''Twilight zone'', rien. Il étaient là et, l'instant d'après, ils n'étaient plus là. Quant, au mystérieux Passeur, aucun d'entre eux ne parvenait à se souvenir de la tête qu'il avait ni même d'ailleurs, s'il était vraiment humain. Bizarre...


 

Grégoire, cependant, eut ce soir là un coup au cœur en découvrant, tout au fond de son sac un tissu blanc soigneusement plié dont il reconnut immédiatement l'inimitable texture. Il ne commit pas l'erreur de sortir le laï pour l'exhiber triomphalement. Au contraire, il s'empressa de placer sur ce qui allait devenir la plus précieuse de ses possessions le grand sac plastique destiné à recueillir son linge sale. Il découvrirait plus tard, dans les plis du vêtement, une page arrachée à son propre carnet de brevets et qui portait quelques mots de Julien : ''Ambar te remercie pour le tee-shirt et il te prie d'accepter ce petit souvenir de votre rencontre.''


 

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