JULIEN

II

 

Chapitre 29


 

Honorable correspondant


 

Quelques jours plus tard, alors que Julien s'apprêtait à quitter sa chère villa du lac pour retourner au Terrier, Dennkar se fit annoncer.

- Sire, nous tenons un des agents de l'ennemi.

Il avait l'air à la fois satisfait et vaguement incrédule, comme s'il était surpris que l'opération qu'il avait lui-même menée produisît le résultat escompté.

- Il s'est livré aux services de Sire Aldegard et dit que, si nous respectons notre promesse de pardon, d'autres viendront se livrer. Il paraît qu'ils sont plusieurs centaines, répartis entre Nüngen et Dvârinn.

- Quand vous parlez d'un agent de l'ennemi, vous parlez d'un traître d'un des Neuf Mondes, ou de quelqu'un de leur monde à eux ?

- Pardonnez-moi, je n'ai pas été assez clair. Il s'agit d'un homme de leur monde à eux, Sar Talak, comme ils l'appellent. Et l'histoire qu'il raconte est vraiment très intéressante.

- Ça, je veux bien le croire ! De quoi est-ce qu'il a l'air ?

- Il ressemble à n'importe qui. C'est bien ce qui m'inquiète. Il a tout juste un petit accent, mais il pourrait venir de n'importe quel monde humain.

- Comment est-ce que vous pouvez être sûr que c'est bien l'un d'entre eux, alors ?

- Il était en possession de ceci.

''Ceci'', c'était un petit objet noir de la taille d'un briquet qui, lorsque Dennkar eut pressé un motif gravé, se mit à émettre un flot de paroles dans un langage inconnu. Dennkar l'arrêta après quelques secondes et expliqua :

- C'est un de leurs appareils de communication. Il est en rapport avec un appareil semblable sur leur monde et ils peuvent échanger des informations. D'après ce que j'ai compris des explications de l'homme, qui n'est malheureusement pas un scientifique, chaque appareil emporte une énorme quantité de petites particules d'énergie qui sont générées deux par deux avant d'être séparées dans des communicateurs ''jumeaux''. Cela n'a apparemment rien à voir avec les appareils de guidage et de communication que nous avons trouvés dans le dépôt de Der Mang, ce que vous appelez ''radio''. Il dit que la distance entre deux de ces communicateurs n'a aucune importance. Ils fonctionneraient de la même façon s'ils étaient chacun à un bout de l'univers. Le principe, si cela vous intéresse, c'est que lorsqu'on change l'état d'une particule dans l'un ou l'autre des appareils, sa particule ''jumelle'' change instantanément de la même façon et ce changement, à son tour, est interprété par l'appareil qui transforme le tout en sons, puis la particule est détruite. La seule limite, c'est la quantité de particules d'énergie. Il y en a énormément, mais lorsqu'elles sont épuisées, l'appareil ne sert plus à rien. Il m'a traduit quelques uns des messages qui sortaient de la boîte. En gros, on lui demande des nouvelles et on lui dit d'attendre les ordres. Pas un mot sur la destruction de leur base.

- Ça n'a rien d'étonnant, mais ça en dit long sur la confiance qu'ils font à leurs agents.

- Exactement. Il a essayé de se renseigner auprès de son correspondant quand il a lu nos bulletins d'information, mais l'autre a fait comme s'il ne savait pas de quoi il voulait parler. Après quelques jours, il a fini par comprendre que nous disions la vérité, qu'il était pratiquement naufragé sur Nüngen et il a décidé de tenter sa chance.

- Est-ce qu'il sait où sont les autres agents ?

- Non. Il reconnaît lui-même qu'il n'est qu'un agent de base. Il n'a jamais rencontré que son supérieur direct. Ils avaient un rendez-vous régulier, mais personne ne s'est présenté la dernière fois qu'il s'y est rendu et bien-entendu, la seule chose qu'il a réussi à tirer de son correspondant sur son monde d'origine, c'est qu'il devait attendre des ordres et continuer de se rendre à son rendez-vous jusqu'à ce qu'il soit de nouveau contacté.

- Et qu'est-ce que vous comptez faire, maintenant ?

- J'aimerais le sonder, bien sûr. S'il est volontaire, ça ne devrait pas être trop pénible pour lui. Mais avant de faire ça, je voulais avoir votre autorisation. Depuis que la base est fermée, il n'y a plus d'état d'exception et ce genre de chose ne peut être décidé que par un tribunal ou bien vous-même.

- Et vous ne pouvez pas demander à un tribunal ? Je suis sûr qu'Aldegard pourrait facilement arranger ça.

- Sans doute, mais je préférerais que la chose ne s'ébruite pas. Il y a certainement quelques personnages du genre d'Ajmer qui n'ont pas envie de voir leur participation à l'effort de guerre ennemi sortir au grand jour. Peut-être que ce type ne sait rien de la sorte, mais je préfère éviter d'effrayer des gens qui pourraient avoir des réactions dangereuses.

- Je vous comprends, mais je ne suis pas d'accord.

- Pardon ?

- Ce que vous me demandez là, c'est de faire quelque chose en dehors de la Loi. Je sais pourquoi vous me le demandez et, si je me mets à votre place, vous avez raison. Mais voyez-vous, il y a déjà un certain temps que je réfléchis à ce que je fais ici. Et j'ai décidé que jusqu'à ce que je sache vraiment tout ce que je dois savoir, je ne ferais que ce que j'estime être juste.

- Mais, il n'y a rien d'injuste dans ce que je vous demande.

- Ce n'est peut-être pas injuste mais, en tout cas, c'est en dehors de la Loi du R'hinz. Ou alors, c'est que je vous ai mal compris. Je ne veux pas être un dictateur. Là d'où je viens, il y en a encore pas mal et je sais où ça mène.

- Mais, vous êtes l'Empereur !

- Si Yulmir faisait ce qui lui plaisait sans tenir compte de personne, ça n'était sûrement pas quelqu'un de sympathique. Mais je peux vous proposer quelque chose. Amenez-moi ce type et je lui demanderai s'il est volontaire pour être sondé. S'il accepte, il n'y aura plus de problème.

- Et s'il refuse ?

- Vous ferez comme vous voudrez. Vous pourrez demander l'autorisation d'un tribunal, ou vous devrez vous passer de ce sondage.

- Bien, Sire.

- Dennkar, je vous en prie, ne me faites pas la gueule. Je vous aime bien et j'ai vraiment de l'estime pour vous. Vous auriez pu ne pas me parler de la fin de l'état d'exception et je vous aurais certainement donné ma permission. Je vous remercie de l'avoir fait et je serais heureux que vous fassiez toujours comme ça.

- Merci, Sire. Et...

- Oui ?

- L'Empereur ne faisait pas ce qu'il lui plaisait sans tenir compte de personne. Il aurait certainement réagi comme vous l'avez fait. Sauf que je ne lui aurais certainement pas suggéré de me donner cette autorisation. Pardonnez à un vieil homme de vous avoir pris pour ce que vous n'êtes pas.

- Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Et vous êtes très bien conservé. Pas gâteux du tout. Allez, faites-le venir, s'il vous plaît.

Alors qu'il attendait le retour de Dennkar, Julien réfléchit à ce qui venait de se passer. Il ne comprenait pas vraiment ce qui l'avait soudain poussé à résister à cet homme dont l'autorité naturelle ne faisait aucun doute. Il avait agi sans presque réfléchir. Tout-à-coup, il lui était devenu évident qu'il ne pouvait tordre les règles à sa convenance. Il avait ressenti que c'était une chose extrêmement dangereuse, et pas seulement du point de vue d'une morale abstraite. En un temps pas si lointain, il aurait considéré son accord comme allant de soi. Là, il avait eu le sentiment que c'était une décision qui lui causerait, à lui, un tort profond et personnel. Tout ce qu'il avait dit ensuite pour justifier son refus lui était venu après-coup.


 

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L'homme, en effet, aurait pu être n'importe qui. Il avait une trentaine d'années et portait un abba gris-bleu sans aucune originalité. Il marchait à côté de Dennkar et jetait à la dérobée des coups d’œil surpris à l'environnement. Arrivé devant Julien, il s'efforça de ne pas dévisager trop ouvertement cet adolescent trop beau, assis sur un simple siège de bois tressé, et qui portait les Marques blanches de la Maison Impériale. Ce fut Dennkar qui rompit le silence :

- Votre Seigneurie, voici l'agent dont je vous ai parlé.

- Julien s'adressa à l'homme.

- Je suppose que vous avez un nom ?

- Je m'appelle Yakder... Votre Seigneurie.

- Honorable Yakder, asseyez-vous et cessez de regarder vos pieds, s'il vous plaît. Mon regard ne tue pas et j'aime bien voir les yeux de ceux à qui je parle. Vous êtes venu de vous-même vous présenter aux services de Sire Aldegard et vous vous dites prêt à coopérer avec nous. Est-ce exact ?

- Oui, Votre Seigneurie.

- Depuis combien de temps vivez-vous sur Nüngen ?

- Depuis huit cycles, Votre Seigneurie.

- Et je suppose que vous étudiez le tünnkeh et notre culture depuis beaucoup plus longtemps ?

- En effet, Votre Seigneurie. À partir de dix ans, j'ai été éduqué en vue de cette mission.

- Vous savez que la planète qui servait de base à cette opération et où se trouvait la machine qui vous permettait de voyager dans l'En-dehors a disparu de cet univers ?

- C'est ce qu'on m'a dit, Votre Seigneurie.

- Vous pouvez le croire. J'ai personnellement participé à l'opération.

L'homme eut un petit sursaut de surprise.

- Je ne vous dis pas ça pour me vanter, poursuivit Julien, mais pour que vous sachiez que je n'ai pas l'intention de jouer à des petits jeux de mensonges avec vous. J'ai l'intention de ne vous dire que la vérité et j'attends que vous en fassiez autant. Est-ce clair ?

- Oui, Votre Seigneurie.

- Avez vous entendu parler d'une chose qu'on appelle le sondage mental ?

L'homme pâlit.

- Oui, Votre Seigneurie.

- C'est une opération efficace et désagréable, et qui n'a pas vraiment bonne réputation. Mais si c'est fait correctement, on n'en meurt pas forcément. Si on coopère sincèrement, on peu même éviter de devenir fou. Encore une fois, vous pouvez me croire sur parole, j'ai moi-même été sondé.

- Vous ! Mais, pourquoi ?!!!

- Ça ne vous regarde pas, mais c'est vrai.

- Pardon... Votre Seigneurie.

- Maintenant, dites-moi si vous avez une idée des méthodes employées par vos services d'espionnage pour interroger les prisonniers.

- Je n'ai jamais participé à ces horreurs !

- Je vois que vous savez de quoi je parle. Il y a dans cette maison un homme, qui est aussi mon ami, qui a subi plusieurs de ces interrogatoires écœurants et qui n'a survécu que parce que nous sommes arrivés à temps. Un autre a été torturé alors qu'il n'avait plus rien à révéler depuis longtemps. Deux autres en sont morts. Vous ne croyez pas que j'ai le droit de vous envoyer vous faire sonder ? C'est tout-de-même moins barbare !

- …....

- Répondez, s'il vous plaît. Est-ce que j'ai le droit de vous faire sonder ? Est-ce que ça vous paraît juste ?

- Votre Seigneurie...

- Yarek, je vous demande poliment votre avis. Ayez l'obligeance de me répondre.

- Vous en avez le droit.

- Est-ce que ça vous paraît juste ?

- Je ne sais pas. Je n'ai jamais torturé personne.

- J'espère bien, mais ceux de votre camp ne s'en privent pas. Alors ?

- Je suppose que c'est juste.

- Eh bien, vous vous trompez. Ceux qui vous ont éduqué ne vous ont pas tout dit. Nous sommes dans ce qu'on appelle le R'hinz ka Aun li Nügen, le Domaine de la Parfaite Équité. Il existe des lois pour régir les Neuf Mondes. Et ces lois, j'en suis le Gardien. Bien sûr, si j'ordonnais qu'on vous sonde, personne n'y trouverait à redire. Personne ne s'aviserait de contredire l'Empereur. Mais moi, je connais la Loi, et elle m'interdit d'infliger ce genre de traitement à quelqu'un sans qu'il ait été d'abord jugé et condamné par un tribunal. C'est pourquoi vous n'avez pas encore été sondé. Maintenant, je vais vous expliquer clairement la situation. Vous avez décidé de coopérer avec nous et je vous crois sincère. Je suppose que vous nous avez déjà dit pas mal de choses utiles mais, en fait, vous détenez des milliers d'autres renseignement dont vous n'avez sans doute même pas conscience et qui nous seraient extrêmement utiles. Ce genre de renseignement ne peut être recueilli que par un sondage. Comprenez-moi bien, les gens de votre monde n'ont plus aucun moyen de venir jusqu'ici, du moins dans un avenir proche. Et nous n'avons aucun besoin de leur faire la guerre. Mais nous devons absolument savoir ce qui s'est passé et ce qui se préparait. De plus, un certain nombre de personnages parmi nous étaient apparemment prêts à collaborer avec les vôtres. Vous devez vous douter que ces traîtres ne tiennent pas du tout à ce qu'on sache qui ils sont. Ils sont certainement prêts à tuer pour l'éviter.

- Mais je ne sais rien de tout ça ! Je ne les connais pas !

- Vous, vous pouvez en être sûr. Mais je ne crois pas que vous réussiriez à les convaincre que vous ne risquez pas de les livrer. La situation se présente donc comme ça : nous avons vraiment besoin des renseignements que vous détenez ; je pense qu'un tribunal autoriserait Maître Dennkar à vous faire sonder de force, mais cela présenterait deux inconvénients. Premièrement, un sondage forcé risque de ne pas être sans danger. Deuxièmement, un procès, même si on s'arrange pour qu'il soit fait discrètement alerterait ces personnages dangereux et, en plus du fait qu'ils essaieraient de vous tuer, ils risqueraient soit de s'enfuir avant qu'on les arrête, soit de tenter des actions que nous ne pouvons pas encore prévoir. Je vous propose donc de résoudre le problème d'une façon qui nous arrange tous les deux. Vous vous faites sonder volontairement et je vous place sous la protection directe de la Maison Impériale. Ce que vous y gagnez est évident : au lieu d'attirer l'attention sur vous et de subir, de toute façon, un sondage dans les plus mauvaises conditions, personne n'essaiera de vous supprimer avant que vous ne soyez sondé et après, ça ne servirait plus à rien. En plus, vous serez sous ma protection, ce qui n'est pas rien. Je vais aussi vous dire ce que moi, j'y gagne. D'abord, je suis certain que vous resterez vivant et que nous pourrons obtenir les enseignements que vous détenez, et je respecte la Loi que je suis censé protéger. Ensuite, je pense que vous n'êtes pas un mauvais homme et tout le monde vous dira que je n'aime pas faire du tort aux gens qui ne m'ont rien fait. Enfin, j'espère que vous finirez par penser que ce n'est pas si mal de vivre ici, dans un monde où même celui qu'on dit être le plus puissant essaie de se montrer correct. Maintenant, j'ai d'autres choses à faire. Je vais vous laisser avec Maître Dennkar. Prenez le temps de réfléchir à ma proposition. Si vous pensez qu'il est préférable de tenter votre chance auprès d'un tribunal, il ne vous en empêchera pas. Si vous décidez de vous porter volontaire pour un sondage, je vous garantis que ce sera fait par les meilleurs spécialistes et qu'ils auront des instructions pour se montrer particulièrement délicats, même si cela doit prendre plus de temps. Dennkar, je sais que vous veillerez à ce que cet homme soit bien traité quoi qu'il arrive.

- Cela va de soi, Votre Seigneurie. Je vous tiendrai informé.

- Prenez aussi le temps de mettre Tannder au courant, s'il vous plaît. Si par hasard il avait des objections, qu'il n'hésite pas à venir me voir. Maintenant, je vais au Terrier. À bientôt.


 

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Chapitre 30


 

Deux !


 

Ainsi qu'il le faisait maintenant chaque fois qu'il voyageait avec Aïn, Julien tenta vainement d'atteindre la Table d'Orientation. Fidèle à sa promesse, il ne s'y hasardait qu'en compagnie du Maître Passeur. Il n'avait aucune envie de se retrouver coincé dans l'En-dehors, fût-ce en compagnie de Xarax. Il n'était pas vraiment inquiet. Les quelques autorités consultées à ce sujet partageaient l'opinion selon laquelle tout rentrerait bientôt dans l'ordre. Au Terrier, Dillik l'accueillit avec un grand sourire en lui tendant un pli orné d'un magnifique sceau tout ce qu'il y avait de plus officiel :

- Tiens, c'est de la part du Noble Sire Tahlil.

Julien brisa le sceau et prit connaissance du message qui était en fait une invitation formelle du Miroir de l'Empereur à participer à la croisière inaugurale du nouveau Trankenn Premier des Rent'haliks.

Incapable de contenir son excitation, Dillik poursuivit, dès que Julien leva les yeux de la luxueuse feuille de papier.

- Tu vas y aller, hein ? Mon père va le commander ! On est allés le voir avec Niil et Ambar cet après-midi. Qu'est-ce qu'il est beau ! Mon père, il a dit que Sire Tahlil il serait content que tu viennes. Il a aussi dit que, si tu voulais bien, je pourrais venir aussi. Tu m'emmèneras, hein ? Et puis aussi Niil et Ambar, bien sûr.

- Bonsoir, Dillik. On va en discuter avec Niil, mais je crois qu'il pourra certainement se libérer pour une occasion comme celle-ci.

- Je lui ai déjà demandé, et il a dit...

- Dillik, calme-toi. L'invitation est pour dans dix jours. Tu ne vas pas t'agiter comme ça pendant tout ce temps, non ? Xarax, je crois que tu devrais faire quelque chose.

Le haptir bondit aussitôt sur son jeune ami qui se retrouva bientôt à terre, son laï retroussé jusqu'au nombril, en proie à une sévère attaque de chatouilles bien propre à épuiser pour un temps son trop plein d'énergie. Julien put alors aller retrouver Subadar, Niil, Ambar et Sandeark pour les informer de sa rencontre avec Yakder.


 

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Après que tout le monde eut écouté le compte-rendu de Julien, Subadar prit la parole :

- Julien, je suis inquiet. Je ne crois pas que la menace qui pèse sur nous soit définitivement écartée. Peut-être que ces hors-monde ne sont plus en mesure, pour l'instant, de nous attaquer, mais quelque chose me dit qu'ils ne sont qu'un aspect du problème. Je trouve que nous avons renoncé à nos armes un peu trop vite.

- Je comprends ce que vous voulez dire Subadar. Sur Terre, on nous faisait apprendre un dicton latin : '' Si vis pacem, para bellum '', '' Si tu veux la paix, prépare la guerre ''. En théorie, ça marche très bien. Mais en pratique, mon monde est littéralement inondé de ces saloperies d'armes. Et ça n'est pas des arcs et des flèches. On s'entre-tue un peu partout et les plus forts menacent de faire sauter la planète. Je ne veux pas qu'on recommence l'histoire d'Emm Talak ! J'ai refermé la boîte de Pandore et je ne la rouvrirai que si j'y suis absolument obligé. On est en train de sonder ce type. Je vous promets que s'il y a le moindre doute qu'ils puissent encore essayer de nous envahir, je n'hésiterai pas. Je suis même prêt à aller les frapper chez eux si c'est nécessaire. En attendant, il faudra que nos fiers Guerriers se contentent des armes autorisées depuis quelques milliers de cycles.

Mais Subadar insista :

- Je ne pensais pas seulement à cette menace-là. Je suis de plus en plus persuadé qu'il y a un autre ennemi. Les ghorrs ne poussent pas sur les arbres. Il faut que quelqu'un les produise et les maîtrise. Pour ça, il faut utiliser les Arts Ténébreux. Et je ne crois pas que ces hors-monde disposent des connaissances nécessaires.

- Là, je suis d'accord avec vous. Mais ça ne change rien pour ce qui est des armes. Si nous avons à faire à un ennemi de ce genre, il est certainement allié à des entités du genre Neh kyong, n'est-ce pas ?

- Effectivement. Des Dhreh, pour être précis.

- Et je ne pense pas que des canons pourraient nous être très utiles contre des Dhreh ?

- Je reconnais que, contre des Drheh, cela ne nous servirait pas à grand chose. Mais contre les humains qui les utilisent... peut-être.

- Pour l'instant, on n'en est pas là. Je viens de recevoir une invitation de Sire Tahlil pour l'inauguration de son Trankenn. Je suppose que Niil et Ambar voudront venir avec moi, mais si ça vous tente, vous êtes le bienvenu aussi. Ainsi bien-entendu, ajouta-t-il avec un petit signe de tête, que Maître Sandeark. Bien sûr, je ne veux obliger personne à participer à une croisière de rêve parmi des îles enchanteresses...

- Évidemment, j'ai bien d'autres occupations, mais mon sens aigu du devoir m'impose de ne pas laisser Sa Seigneurie affronter sans le soutien de mon conseil les écueils d'un tel voyage diplomatique.

- Quant à moi, dit Sandeark, je ne vais quand même pas laisser mes élèves se vautrer dans le farniente pendant tout ce temps sans rien pour meubler le vide de leur esprit.

- Je suis sûr que votre sacrifice leur ira droit au cœur.


 

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Depuis que Julien produisait sont nectar, il lui fallait le partager équitablement, ce qui compliquait quelque peu les ébats quotidiens, chacun des trois garnements qui partageaient la couche commune s'efforçant subrepticement de l'amener à répandre à son profit une semence qui prenait peu à peu consistance et abondance. Sans doute est-il des sorts plus terribles que de devoir ainsi apprendre à maîtriser la montée de ses orgasmes ou résister aux sollicitations toujours plus inventives de ses camarades de jeu. Il avait bien tenté, au début, d'exclure Dillik de la compétition, sous le prétexte fallacieux et presque insultant d'un âge trop tendre, mais qui eût résisté au déchirant spectacle de ses larmes conjugué à l'indignation outrée d'un haptir manifestement gagné à sa cause ? Aussi, bien qu'il refusât toujours avec la plus grande fermeté les offres répétées de plonger son Sceptre Adamantin dans un Pertuis Secret qu'on lui assurait pourtant avide de l'accueillir, il permit à l'infernal lutin de satisfaire ce qui menaçait de devenir un goût immodéré pour la substance en question. Goût qu'il partageait d'ailleurs avec Ambar et, dans une mesure tout juste un petit peu moindre, avec Niil qui, dût-il absolument choisir entre deux formes de plaisir, se fût sans doute, après bien des hésitations, décidé pour une pénétration vigoureuse de son Puits de Délices. Il s'était d'ailleurs, expérience faite, ouvertement déclaré satisfait de la vigueur et des dimensions d'un Julien secrètement flatté de remplacer avec un tel succès Karik, que son devoir retenait au chevet de son Maître et sans aucun doute, murmurait Niil, dans son lit. Privilège que, de l'avis général, il avait amplement mérité et que Tannder eût été mal venu de lui refuser plus longtemps après de telles preuves de dévouement et, disons-le, d'amour.


 

Toujours est-il que c'est avec un bonheur sincère que ce soir-là, alors qu'il achevait, tête-bêche avec Niil une série de combinaisons propres à tester jusqu'à l'extrême limite sa capacité à retarder une explosion imminente, alors qu'Ambar s'introduisait sans trop de discrétion, mais beaucoup de lubrifiant dans son fondement et que Dillik s'efforçait de rendre ce même service au Premier des Ksantiris, à cet instant précis où une vague brutale de plaisir submergeait tout ce petit monde entremêlé, à ce moment-là, tout juste, alors que palpitait dans sa bouche le membre point énorme, mais tout-de-même de plus en plus respectable de son meilleur ami, Julien reçut sur sa langue, pressée contre la bouche minuscule qu'il taquinait depuis un certain temps, l'obole tant attendue, la toute première distillation des œufs tout chauds qu'il roulait entre ses doigts. Peu de chose, certes, mais chose exquise. Quelques gouttes dont l'arôme, unique, était précisément le goût de Niil, et de lui seul.


 

Il lui fallut attendre, avant d'annoncer l'avènement de Niil à la fertilité, de retrouver un souffle coupé par son propre orgasme. Il avala à regret la salive parfumée dont ses papilles tentaient encore d'extraire les dernières molécules de saveur, laissa à Ambar le temps de se remettre de ses émotions et d'extraire son modeste mais charmant engin, tout roide encore et comme prêt à reprendre la tâche, puis il annonça :

- Les enfants, ça y est, on va pouvoir faire une fête pour Niil !


 

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